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nous, la fortune du Figaro hebdomadaire. Avec ses Celebrities at home, Yates, le fondateur du World, mit résolument le pied dans le domaine des personnalités, où le public anglais, très avide, quoiqu’il s’en défende, des indiscrétions biographiques, ne demandait qu’à le suivre. Le succès, cependant, se faisait encore attendre, lorsque Labouchere donna au nouveau journal une série d’articles financiers d’une fantaisie étourdissante qui valurent à leur auteur un procès retentissant. Dès lors, la prospérité du World ne laissa plus rien à désirer à son heureux directeur. C’est à ce moment que l’idée vint à Labouchere de fonder, à son tour, un journal ; non pas, assurément, qu’il fût jaloux des profits réalisés, grâce à lui, par son ami Yates, — car il avait le tempérament du vrai joueur qui joue pour jouer, et non pour gagner ; mais il voulait avoir ses coudées franches.

Son intention avait été, d’abord, d’appeler son journal The Liar (le Menteur). Ses amis déconseillèrent ce titre qu’ils jugeaient trop franc et un tant soit peu cynique. On lui proposa Truth (la Vérité) et il accepta ce second titre comme l’équivalent du premier. Truth fut donc fondé avec un modeste capital auquel il n’a jamais été touché, car le journal couvrit ses frais, et au-delà, dès le début. Le premier numéro parut dans la première semaine de 1877. Labouchere ne s’occupa point un seul instant de remplir ses devoirs de directeur et d’administrateur, il délégua ces fonctions à un alter ego, nommé Horace Voules ; mais il rédigeait, rédigeait avec une ardeur infatigable, avec une sorte de fureur. C’est cette copie, incessamment prodiguée, et sur tous les sujets, qui fit le succès immédiat, le succès énorme de Truth. Critique dramatique et chroniqueur financier, Labouchere semait le journal d’entrefilets mordans, à la façon des Guêpes d’Alphonse Karr, qui laissaient presque toujours leur homme sur le carreau, que ce fût un snob, un hypocrite ou un flibustier, car il faisait la guerre à tous les shams, c’est-à-dire à tous les mensonges en parole et en acte, aux personnes et aux choses qui feignent d’être ce qu’elles ne sont pas.

Non seulement il différait profondément de certains directeurs qui usent de leur autorité pour rogner et défigurer la pensée de leurs collaborateurs et corrigent un article littéraire comme un régent corrige une version, mais il se soumettait lui-même, avec une simplicité d’écolier, avec une