Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/777

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à M. Gladstone, disait-il, lorsqu’il se vante d’avoir des atouts cachés dans sa manche, mais je lui en veux lorsqu’il essaie de nous faire croire que c’est le bon Dieu qui les y a mis. »

Il croyait prochaine la retraite du vieil homme d’Etat et se flattait de le voir bientôt remplacé par M. Chamberlain, ce qui, — avec l’appui du vote irlandais, — aurait assuré aux radicaux la prépondérance dans cette coalition hétérogène qui formait et qui forme encore aujourd’hui le parti libéral.

En attendant, il critiquait librement la politique gladstonienne en ce qui concernait les relations extérieures. Les vacillations et les incohérences de cette politique en Egypte donnaient beau jeu aux épigrammes de Labouchere. Après avoir lié son existence ministérielle au maintien du principe de non-intervention, Gladstone fit la guerre sur les bords du Nil. Et pourquoi ? Pour protéger une administration corrompue et sauvegarder les dividendes de quelques actionnaires. Puis quand le Mahdi devint menaçant, et quand vint l’heure de livrer le combat de la civilisation contre la barbarie, il remit au fourreau l’épée de l’Angleterre, laissa Gordon s’acheminer seul vers Khartoum, sans un soldat. Dans le premier cas, Labouchere était en opposition avec son chef, tandis que, dans le second, il partageait toutes ses illusions. Mais il était, dans l’un comme dans l’autre, pleinement d’accord avec lui-même. Au lendemain de Tel-el-Kebir, il réclamait le départ du Khédive, le retrait des troupes anglaises et la remise de l’Egypte à un parlement égyptien. Lorsqu’on l’accusait d’être, insensible à l’honneur national, il répondait que l’honneur de l’Angleterre consistait, non à annexer des territoires, mais à répandre autour d’elle les bienfaits de la liberté et de la paix. Dans le parlement et dans la presse, il fut à peu près le seul et, plus tard, le dernier à défendre Arabi-Pacha. Comme il croyait au patriotisme et à la sincérité d’Arabi, il croyait aux bonnes intentions du Mahdi ; il entra en communication avec un personnage qui était, ou se disait le représentant du prophète musulman à Londres. Il était d’avis qu’on lui envoyât une commission diplomatique pour fixer à l’amiable la frontière entre le Soudan et l’Egypte et déterminer une « zone d’influence. » On l’écouta en souriant, — on l’écoutait toujours ! — mais on se garda de le croire et, au lieu d’une commission diplomatique, on envoya à Khartoum Kitchener et 50 000 hommes.