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Dans la question irlandaise, son rôle fut beaucoup plus actif, sinon plus efficace. Dès son entrée au parlement, il se montra sympathique aux revendications irlandaises. Deux considérations, extérieures au problème du Home Rule, l’inclinaient dans cette direction. D’abord, l’autonomie irlandaise était un pas vers ce régime fédératif qu’il avait pris en goût et en admiration pendant son séjour aux États-Unis. Et puis, comme je l’ai déjà indiqué, il comptait sur les voix des députés irlandais pour introniser Chamberlain à la place de Gladstone. Dans ce cas, le radicalisme fût devenu le centre du parti libéral, et ce n’était pas payer trop cher un tel résultat que de l’acheter par le sacrifice d’une unité plus apparente que réelle. Lorsque Gladstone, renonçant à la politique de coercition, se rapprocha de Parnell et de ses amis et fit paraître l’intention de concéder un parlement distinct à l’Irlande, Labouchere le suivit avec empressement dans cette voie et fut fort étonné de Voir Chamberlain, hier pleinement d’accord avec lui, se refroidir et s’écarter, à mesure que le but désiré se rapprochait. Quant à lui, son intimité de chaque jour, pendant plusieurs années, avec des hommes comme Parnell, Tim Healy, Justin Mc Carthy, T. P. O’Connor et le reste de la petite phalange nationaliste, avait agi sur son esprit de telle façon qu’il regardait maintenant leur cause comme sienne.

Quand vint le moment critique, c’est-à-dire à l’approche de la seconde lecture du Home Rule Bill présenté par Gladstone en 1886, Labouchere se multiplia, comme nous pouvons en juger dans la biographie aujourd’hui offerte au public, où nous le suivons, de jour en jour et, pour ainsi dire, d’heure en heure, pendant cette période de suprême anxiété dont le dénouement fit perdre vingt ans de pouvoir au parti libéral. Courant de l’un à l’autre, écrivant jusqu’à trois lettres par jour au même correspondant, essayant de confesser Parnell pour éclairer Gladstone et de confesser Gladstone pour avertir Parnell, la mémoire et les poches bourrées d’amendemens, de propositions et de contre-propositions qu’il soumettait à ses amis et remportait avec leurs objections, Labouchere, on peut le dire, fit des efforts désespérés pour maintenir l’union dans l’armée composite qui suivait Gladstone. De lord Hartington et de ses partisans les whigs, il s’inquiétait peu ; il était même tenté de se réjouir en les voyant se préparer au départ, car il les détestait, politiquement parlant, plus encore qu’il ne détestait les tories.