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critique anglais publia la reproduction d’un charmant tableau de l’école des van Eyck, nouvellement acheté par un amateur de Londres, et c’est ce tableau qui se retrouve à l’exposition.

C’était un panneau à fond d’or, ramage et damasquiné, ayant un peu la forme d’une feuille de paravent, d’un kakémono du Japon, sur lequel un grêle Saint Michel, un long damoiseau blond pincé dans une armure noire, fourbi, miroitant, acéré, ainsi qu’un grand insecte, une sorte de « cousin » bizarre, aux gestes dégingandés, aux ailes d’hirondelle, foulait, domptait un monstre vert à ventre de crapaud. C’était signé Bartholomeus Rubens, et ce latin pouvait se traduire en dix langues. Les Français étant à la mode, on proposa, à tout hasard, une version française. Il se trouva que la vraie leçon fut espagnole ; on démontra que Rubens était le nom latinisé d’un certain Vermejo, lequel fut employé vers la fin du XVe siècle par le chapitre de Barcelone. L’inconnu Vermejo devenait le grand homme de l’école catalane : un document prouva qu’il était de Grenade.

Je le demande : est-ce qu’un tableau qu’on peut à volonté prendre pour néerlandais, français ou catalan, et qui, en définitive, n’est rien de tout cela, a le droit de s’appeler un tableau espagnol ? Et cette aventure n’est pas la seule de son espèce. Qui ne se rappelle celle de l’Homme au verre de vin, une des surprises de l’exposition du Pavillon de Marsan ? Quel plaisir d’y reconnaître nos qualités de terroir, la vivante figure d’un paysan de chez nous ! Le Louvre s’empressa d’acquérir ce chef-d’œuvre. Or, il existe de grandes chances pour que le chef- d’œuvre soit portugais, car il y a, depuis peu, des primitifs portugais. Le verre de vin était un verre de porto !

La vérité, c’est que toute cette affaire des primitifs est un peu vaine. La langue pittoresque n’est pas, au XVe siècle, assez diversifiée pour suffire à des expressions vraiment nationales. L’Espagne, qui se chante si fièrement dans le Romancero, échoue à produire d’elle-même une peinture ressemblante. Il y a plus : peut-être une telle recherche est-elle, à cette date, un véritable contresens. C’est se méprendre sur le rôle de la peinture au moyen âge que d’y poursuivre l’expression de nuances de ce genre. On oublie, que la peinture alors n’est pas un art, une faculté indépendante et cultivée pour elle-même. Elle est un système de formules, un répertoire de signes employés à manifester, non des tempéramens divers, mais des vérités éternelles,