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obtient sa destitution ; le Sultan le dépouille alors… au plus tard à sa mort, car le souverain est l’inévitable héritier de ses fonctionnaires dont la fortune est toujours, et jamais à tort, réputée mal acquise. Ce régime évoque l’image d’éponges posées sur le sol, se gorgeant de son humidité, et que le maître exprime violemment dès qu’il les juge assez gonflées. Il explique l’aspect misérable des campagnes marocaines, sans routes, sans ponts, abandonnées si souvent, même dans leurs meilleures parties, aux plantes parasites : la misère de cette terre qui contient cependant tant de richesse en puissance.

La barbarie du gouvernement fait comprendre aussi l’existence éternelle du pays insoumis, du bled es Siba. Nous avons vu que l’anarchie meurtrière du Siba n’a rien qui évoque l’Arcadie de la légende. Mais la sécurité y est à peine moindre que dans le bled el Makhzen, et beaucoup de tribus qui, lasses des guerres sans fin, s’étaient soumises au Makhzen, sont rentrées en Siba après une courte expérience du gouvernement paternel de S. M. chérifienne. Pour peu que le relief de son territoire ou son éloignement le lui permette, une tribu refuse toujours l’obéissance, c’est-à-dire l’impôt, à ce gouvernement qui n’est qu’un fisc impitoyable. Les limites entre le « pays du Siba » et le « pays du Makhzen » ne sont d’ailleurs ni fixes, ni nettes. Sous un sultan vigoureux comme Moulay el Hassan, sorte de percepteur couronné qui parcourut inlassablement son « Empire, » jusqu’à sa mort en 1894, levant l’impôt à la tête d’une armée et à coups de fusil, le Siba recula vers les montagnes les moins accessibles. En 1911, au contraire, lors de l’intervention française, les vagues du Siba battaient les murailles de Fez, seul îlot laissé au Makhzen de Moulay Hafid dans le pays révolté. D’autre part, entre les tribus pressurées à merci et celles qui n’obéissent jamais, se trouvent les nuances insensiblement dégradées des ménagemens qui s’imposent à la politique du Makhzen. Aussi pourrait-on dire, si l’on voulait résumer les choses dans une formule d’allure mathématique, qu’au Maroc l’impôt est directement proportionnel à la force du souverain et inversement proportionnel aux obstacles et à la distance qui séparent l’habitat du contribuable du siège du gouvernement.

Ce flottement perpétuel suppose une politique très souple. Si le gouvernement du Sultan est une conquête toujours