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sonder le Siba, a y trouver des points d’appui, et les chefs qui sont chargés de centraliser, de coordonner leurs efforts à la Résidence générale ont un registre admirablement complet, nuancé, tenu à jour de tous les personnages qui peuvent être nuisibles ou utiles, c’est-à-dire qui doivent être continuellement suivis. Cette politique indigène exige encore la résistance à la tentation de brusquer les choses par un coup d’éclat, l’application à résoudre les questions avec un minimum de « casse, » à préparer chaque pas en avant par la négociation, avec une patience proportionnée à la lenteur orientale, dans des conversations indéfiniment reprises autour d’innombrables tasses de thé. Sans doute la soumission ne s’obtiendra pas sans un recours à la force. Le décorum d’une tribu ne lui permet de s’incliner que vaincue. « Nos femmes ne nous recevraient plus, » disent, pour expliquer leur résistance, les Berbères mêmes qui sont en pourparlers avec l’officier français. Mais, grâce à ce travail préparatoire, le jeu de la poudre ne sera pas une tragédie, sauf pour un noyau d’irréductibles ; il ne sera qu’un simulacre pour la plupart, une manifestation symbolique leur permettant de s’incliner aux moindres frais devant la fatalité que représente la loi du plus fort.

C’est ainsi que, peut-être plus vite que l’on ne pense, la jonction entre les territoires occupés à l’Est et à l’Ouest se fera sans bruit, mais d’une manière autrement utile que par l’effort, pour ainsi dire linéaire, de ce que l’on a appelé d’avance la colonne de Taza. Il n’y a pas 90 kilomètres à vol d’oiseau entre les postes fondés par les généraux Gouraud et Henrys au Sud de Fez et de Meknès et la plaine de la Moulouya ouverte, le jour où elles le voudront, à nos troupes du Maroc oriental. Au point où en sont les choses et le chiffre des effectifs engagés, on ne voit plus aucun intérêt à marquer indéfiniment le pas devant le Moyen Atlas. La jonction de l’Algérie et du Maroc pacifié se fera non par une ligne de postes jalonnant la « trouée » de Taza et toujours attaqués, mais par la soumission du pays sur toute la largeur qui sépare le versant septentrional du Grand Atlas de la Méditerranée.

Où serait-il question du Sultan dans cette progression ? Il ne nous économiserait pas un coup de fusil dans le Moyen Atlas. Si la « politique makhzen » fournit une façade à notre entreprise, c’est la « politique de tribus » qui lui donne ses