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lorsque le pays était occupé, les indigènes, s’efforçant de passer à travers la barrière fictive du Makhzen que la théorie du protectorat veut interposer entre eux et l’autorité française, venaient se plaindre du caïd au bureau des renseignemens, allant droit à ceux qui, ayant la force et la réalité du pouvoir, en avaient aussi la responsabilité. Pendant un temps, même après l’accord franco-allemand, nos officiers eurent l’ordre de ne pas intervenir dans le fonctionnement du gouvernement chérifien. ! C’était décevoir la seule espérance qui rendît notre présence tolérable. Mais on craignait de violer les formes du protectorat, de faire de l’administration directe : défense de toucher à un Makhzen considéré comme tabou ; c’était s’interdire toute œuvre sérieuse et honnête.

Les rouages de cette machine à piller étaient pourtant inaptes, non seulement à exécuter, mais même à concevoir la tâche qu’ils auraient à accomplir sous la responsabilité d’une nation civilisée. Ce que l’on devait prévoir à cet égard a été confirmé par l’expérience. C’est une vérité admise par les coloris français capables de pénétrer un peu la société indigène que jamais les déprédations des caïds n’ont été plus violentes, ni la justice des cadis plus lamentablement boiteuse que pendant les premiers temps de l’occupation française. A cela il y avait bien des raisons. La présence de nos troupes libérait les gouverneurs de tribus de la crainte des révoltes qui contenait un peu jadis leurs exactions. Les agens du Makhzen profitaient d’autant plus de cette sécurité qu’ils jugeaient sage de mettre les bouchées doubles pendant que la table était encore servie, en attendant que la discipline administrative des Roumis vînt les rationner ! La graisse qu’ils pouvaient se faire ainsi était d’autant plus désirable que le Sultan ne resterait pas libre d’en dépouiller, comme autrefois, les caïds ayant cessé de plaire. Enfin, il n’y avait pas plus à se préoccuper de rendre gorge dans l’autre monde que dans celui-ci : quelle loi fallait-il encore respecter sur cette terre d’Islam livrée à l’Infidèle et dont toutes les institutions perdaient par-là même leur base et leur principe ? Il serait injuste de ne pas faire la part de cette incontestable crise morale dans la recrudescence de pilleries et de malhonnêtetés qui a suivi l’effondrement du vieux Moghreb et le viol de tous ses concepts. Et, de plus, ce serait, à en croire les nouvelles que nous recevons du Maroc, se laisser aller à un