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autres qu’en Algérie ; pour une foule de raisons, ils assurent aux indigènes l’égalité avec les Européens devant l’impôt. La forme du protectorat est pour eux, dans une certaine mesure, une garantie. La tradition qui s’établit dès les commencemens du régime français en est une meilleure. Partout où c’est possible, nos protégés sont dès à présent invités à collaborer à notre œuvre ; la preuve en est l’institution du Medjliss, l’assemblée municipale, où les représentans de la bourgeoisie policée de Fez sont appelés à participer à l’administration de leur ville. La politique adoptée dès l’origine au Maroc ne fera pas des indigènes des parias sur lesquels se concentrent les charges. ! Malheureusement, les hypothèques internationales qui pèsent sur les débuts du protectorat ne nous permettent pas de délivrer immédiatement les Marocains de tous les abus que les étrangers avaient ajoutés à ceux du Makhzen : le régime des capitulations maintient pour un temps, avec l’exterritorialité dont bénéficient les étrangers et leurs protégés, une caste qui perpétue encore dans une certaine mesure les inégalités et les dénis de justice du vieux Maroc.

Les origines de l’exterritorialité des étrangers et de son corollaire, la protection, sont faciles à comprendre : c’est conformément à une conception très ancienne qu’un régime à part est fait à l’étranger. Dans le monde antique, ne participant pas au culte des dieux de la Cité, il était exclu du bénéfice de ses lois. Un tel sort devait tout naturellement être fait aux chrétiens dans les pays musulmans où toute loi est religieuse. Cette « exterritorialité » devenue un privilège était plutôt à l’origine une infériorité : les sultans l’accordèrent sans doute au début aux petites « nations » européennes, vivant sous l’autorité de leur consul, parquées dans un quartier spécial des ports, avec ce même libéralisme méprisant qui leur a fait tolérer, jusqu’à nos jours, l’autonomie intérieure des Mellah, ces ghettos où sont confinés les Juifs marocains. Mais peu à peu ces étrangers allaient s’efforcer de transformer cette exception en une supériorité. Marchands et consuls voulurent soustraire leurs domestiques et courtiers à l’arbitraire d’un gouvernement sans règles et, après le bombardement des repaires de corsaires de Larache et de Salé par une escadre française, le traité du 28 mai 1767, conclu entre le Sultan et la cour de Versailles, stipulait que les serviteurs indigènes des Français « ne seraient