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mères-grands enseignent à leurs filles les berceuses que celles-ci rediront ; ni les idées, ni les paroles ne sont très différentes, de ce côté des Alpes ou de l’autre. Il suffirait de traduire les rondes des petites Italiennes, pour avoir celles de nos petites Françaises ; et, dans plus d’un cas sans doute, à vouloir chercher les sources, on trouverait qu’elles sont communes.

Il n’en va pas autrement pour la majorité des livres. Lorsqu’on a montré à l’enfant le secret d’assembler les lettres et les mots, et que mille figures diverses surgissent des gros caractères qu’il épelle, il croit entrer dans un monde merveilleux. Il apprend à connaître les animaux qui parlent, et qui prennent plaisir à lui conter leurs aventures. En France, tout le monde a lu les Mémoires d’un âne : en Italie, les Mémoires d’un poussin. Ce poussin très sage, qui a le bonheur d’être distingué par la fille de la fermière dès sa sortie de l’œuf, et qui échappe au sort de ses congénères pour mener une vieillesse honorée dans les splendeurs d’un appartement confortable, connaît les prospérités, les fautes, les repentirs, et toutes les vicissitudes de notre Cadichon. Ida Baccini, qui, entre tant de beaux récits pour les enfans, a écrit celui-là d’une plume fort alerte, n’est pas sans avoir contracté quelque dette envers Mme de Ségur. — Les fées sont de tous les pays. Elles ont partout la même baguette magique, et les mêmes enchantemens. Partout elles prennent mille formes diverses, et deviennent, au gré de leur fantaisie, l’oiseau qui passe, l’arbre qui frissonne, le vent qui chante. Partout les fées jeunes et belles, puissances du bien, mènent le combat contre les vieilles et les laides, puissances du mal. Certes, l’imagination savoureuse, le style très sobre et très coloré d’un Capuana ont renouvelé le genre. Mais nous avons notre Perrault. Et que dire des fables, puisque nous avons La Fontaine ? — Bientôt on met entre les mains des enfans des livres plus graves. Adieu, les animaux qui parlent, adieu les belles fées ! La littérature est chargée de leur faire voir, proportionnée à leur taille, la scène du monde, où bientôt ils devront entrer ; elle les prépare à jouer honnêtement leur rôle, quels que puissent être les paroles ou les gestes des autres acteurs autour d’eux. Ainsi Cordelia (pour prendre l’exemple le plus significatif, parmi tant d’autres que l’on pourrait citer) peint l’humble dévouement d’une jeune fille, qui remplace au foyer la mère prématurément morte, élève ses frères et ses sœurs, combat les