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l’autre a fait oublier, — était un singulier employé, qui semblait peu apte aux besognes bureaucratiques ; un de ceux qui ne consentent à sacrifier quelques heures de leur liberté, chaque jour, que pour avoir le droit de faire autre chose. Dans l’histoire du Risorgimento, chaque fois qu’était venu le moment de se battre, il quittait sa place, allait accomplir son devoir aux armées, puis rentrait en Toscane, prêt à recommencer. Il prodiguait sa prose dans de nombreux journaux ; il en fonda même qui ne prospérèrent pas. Il traduisit les Contes de Perrault ; et son éditeur lui ayant demandé un livre pour enfans, de Giannetto il tira d’abord Giannettino.

C’était déjà un fort beau livre. Pour donner Pinocchio, qu’il publia en 1880 dans le Giornale dei bambini de Rome, sous la forme de roman-feuilleton, il n’eut plus guère qu’à se corriger lui-même. Giannettino était un ouvrage scolaire ; il tenait compte des programmes, glissant ici un chapitre sur l’histoire naturelle, là un autre sur la géographie : ce qui ne laissait pas de l’alourdir. Toute la partie proprement didactique, Collodi la sacrifia sans hésiter ; il abandonna résolument le procédé insidieux, dont les enfans ne sont pas dupes, qui consiste à disserter sur les poissons à propos d’une partie de pêche, ou à profiter de la lanterne magique pour faire défiler toute la création. De même, l’intention morale du Giannettino est trop évidente. L’histoire de cet enfant gâté, qui désobéit ouvertement à une mère trop faible, et dont un vieux docteur, ami de la famille, entreprend la cure jusqu’à complète guérison, même contée avec beaucoup d’agrément, laisse transparaître le prêche. Il y a plus d’aisance dans Pinocchio, plus de souplesse, et comme plus de jeu. La connaissance de la psychologie enfantine n’est peut-être pas plus profonde, mais elle est présentée avec plus d’agrément. Surtout, Collodi égaya le livre. Pinocchio est amusant, parce que l’auteur, en l’écrivant, s’est amusé. A chaque page, des saillies ; des associations d’idées saugrenues ; des observations pleines d’humour ; le jaillissement d’une fantaisie non seulement comique, mais spirituelle et par-dessus tout, le mélange de naïveté apparente et de finesse caustique, dont nous aurions un exemple chez notre Guignol, mais en moins léger : car l’esprit toscan est plus subtil et plus fin. Dans une telle abondance, il est difficile de choisir. Voici la simple plaisanterie : « Comment s’appelle ton père ? — Geppetto. — Et quel métier