Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’atmosphère de l’école un peu du grand air de la vie : le souci d’éviter la monotonie est si manifeste, que même les caractères d’imprimerie varient suivant les passages. Ce n’est pas un procédé ; c’est le talent essentiel de De Amicis, que l’observation scrupuleuse du détail. Ces scènes de la vie des écoliers sont des tableaux de genre ; il n’y manque ni les accessoires, — livres, règles ou plumiers, — ni le principal : les attitudes exactes, les gestes précis, les mouvemens vrais des enfans. L’aspect extérieur de chacun d’eux est rendu par un trait vigoureusement appuyé ; ce trait devient le symbole de l’individu tout entier, corps et âme ; il le marque, comme une étiquette son flacon. Jamais le nom de Garoffi, le trafiquant ingénieux, ne sera prononcé, sans qu’on nous rappelle son nez en bec de chouette, ses petits yeux fureteurs, le grand manteau qui cache ses poches bourrées d’objets hétéroclites. Coretti, qui doit aider son père le marchand de bois, chaque matin, avant de venir à l’école, est immuablement vêtu d’un jersey couleur chocolat, et coiffé d’un bonnet de poil de chat : au point que nous aurons peine à le reconnaître, lorsqu’il mettra par hasard son habit des dimanches, ou que l’été l’obligera à remplacer par des vêtemens moins lourds son accoutrement familier. On nous dira dix fois que le maître de quatrième élémentaire a une ride, juste au milieu du front, toute droite, et qui ressemble à une blessure quand il se met en colère : tandis que la particularité du maître de troisième est d’avoir des cheveux roux ébouriffés.

Sûr de tenir en sa possession le lecteur, en l’amusant ainsi par des portraits qu’il a soin de ne pousser jamais jusqu’à la caricature, De Amicis le conduit vers le pathétique. Les exemples de dévouement qu’il donne ne se passent jamais à huis clos ; ils ont toujours des témoins, qui partagent les sentimens du héros : et comme il n’y a rien de plus contagieux que la bonté, nous sommes gagnés à notre tour par l’émotion. En vain nous voudrions réagir ; nous avons beau deviner où l’auteur veut en venir, protester même contre des effets que nous jugeons mélodramatiques : nous sommes pris par les nerfs ; notre gorge se serre, et nous nous sentons impuissans à refouler la larme bête que nous finissons par verser malgré nous. Ce n’est pourtant pas la première fois que nous lisons des histoires analogues. Notre journal nous en fournit qui leur ressemblent, sous la