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leur donner un conseil qui travaillera obscurément dans leur conscience, jusqu’au jour où il germera en bonne action, mérite plus de respect que l’amuseur des foules. Les romanciers illustres et les dramaturges applaudis, même les moralistes aimés qui donnent aux adultes les conseils de leur sagesse, ayant plus de gloire, ont moins d’influence peut-être que l’auteur dont la pensée nourrit les générations qui montent. Car l’esprit des enfans est vierge, et les empreintes qu’ils reçoivent sont ineffaçables. Le premier livre qu’ils lisent, c’est leur première conception du monde.

Pour ces raisons, la littérature enfantine est chose moins puérile qu’on serait tenté de le croire. L’admiration que nous professons pour un Carducci ou pour un Fogazzaro ne doit pas nuire à celle que méritent l’auteur de Pinocchio, et davantage encore celui de Cuore, gardiens à leur façon du génie de leur race, artisans d’un labeur difficile, dont le bénéfice s’étend à toute l’humanité. Rendons justice aux ouvriers de la première heure ; il y a longtemps que Platon a loué, dans cette langue qui devenait si spontanément poétique lorsqu’il parlait de la jeunesse, les sages qui, cultivant les fleurs du printemps, préparent des fruits meilleurs et plus beaux pour l’été.


PAUL HAZARD.