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D’où M. Claudel partait-il pour ces émigrations, et quel est le Paris qu’il quittait, à l’âge où Paris influe tant sur un jeune littérateur ? C’est le Paris de 1889 où il est à vingt ans étudiant. C’est, entre 1885 où il est grand collégien et 1893 où il part, le plein travail exubérant du Symbolisme, le fiévreux désordre que l’on sait, la folle générosité intellectuelle, les groupes qui se font et se défont ; les écoles d’un jour, les manifestes qui annoncent une révolution esthétique, et les bilans qui témoignent d’un simple remaniement de la prosodie ; tout cela, qui semble avoir été, par le goût du nouveau et du rare, par l’influence musicale, par l’idéalisme, par la réaction contre les écoles poncives et réalistes, une crise de sentimentalité intellectuelle. Le nom de M. Paul Claudel ne figure pas dans les jeunes revues d’alors, mais il était pris dans les remous de ce mouvement. Il lisait Rimbaud avec passion, il avait de nombreux amis symbolistes, et il fréquentait chez Mallarmé qu’il vénéra comme tous ceux qui l’approchèrent. Si on cherche ce que nous a directement laissé le symbolisme, on ne trouve peut-être pas de directions, mais on trouve des libertés. Il fit craquer quelques cadres ; et continuant l’action des divers mouvemens littéraires du siècle, il rendit licites un plus grand nombre de moyens d’expression, et abandonna définitivement chaque écrivain à la solitude de son individualité.

M. Claudel accepta cette liberté de tout exprimer, et de s’exprimer dans la forme la plus singulière, avec un esprit que j’imagine bien disposé. Mais il ne prit guère autre chose au symbolisme. Nous avons de lui un drame qui date de cette époque, Tête d’Or, qu’il composa en 1889, et dont il refit plus tard une seconde version. Il le publia à la librairie de l’Art Indépendant en 1890. On n’y voit aucune filiation du symbolisme : ceci seulement indique son temps, que l’auteur est visiblement pénétré, enivré de littérature ; mais, en pleine époque de raffinement et de nuances, c’est un drame violent et vigoureux, extrême comme un drame romantique ; éclos au sortir même des Causeries subtiles de Mallarmé, à la lumière même de son esthétique de grand artiste vain, c’est un drame d’action ; quelque chose enfin qui paraît nouveau au milieu d’une nouveauté souvent artificielle ; et dont on ne sait ce qui surprend le plus, ou qu’il soit ainsi en marge des œuvres symboliques, ou qu’il ait déjà tous les caractères de l’œuvre future dont il est le