Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/896

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intermédiaire entre nos deux modes habituels ces lignes ou ces strophes dociles au mouvement du discours, je ne vois pas quelle objection on pourrait y faire. Il faudrait souhaiter seulement que ceux qui décideront de s’en servir ne maniassent point de la fausse beauté avec ce bon outil.

Car il a de superbes ressources. Il fait intervenir le silence. Ce silence qui joue un si grand rôle dans nos entretiens vivans, et un si grand rôle dans la musique, n’y aurait-il que le vers qui eût le droit de lui emprunter sa riche profondeur ? Combien de fois, écrivant en prose, n’a-t-on pas souhaité, au-delà des virgules et des points, cet instant visible de suspens, qui recueille un sens, l’isole, et l’agrandit ?

On a raillé avec raison l’excès de cette exigence chez Mallarmé, qui mettait pour la satisfaire de grands blancs entre ses mots… Mais, si on y réfléchit, le dernier des romanciers en fait autant quand il introduit une description dans un moment pathétique. Tout ce qui importe doit baigner dans le silence, dans l’espace. Et c’est pour les leur restituer qu’avant la déclaration d’amour, on nous dit comment est la nuit ; ce sont des mots destinés à prolonger le suspens, et qui y tombent de toute leur inutilité. M. Claudel a dans un domaine plus subtil donné une belle solution à ce besoin d’espace dans la prose.


Le second élément qu’on est amené à reconnaître chez M. Claudel est la qualité humaine. La scène, quand l’Annoncé à Marie y fut portée, la mit en évidence et ce fut une surprise pour beaucoup. Car on avait pensé que ce drame s’adresserait surtout à l’esprit. Mais il était émouvant. Et certains même regrettaient que la part la plus rare du drame, — ce qu’il contenait de mysticisme fier et de ferveur, — disparût presque sous tant de pathétique. Je crois donc qu’on ferait fausse route si on ne voyait dans l’œuvre de M. Claudel, sous prétexte qu’elle est symbolique » que des figures. Ce sont des êtres humains qu’il y a créés. Ses personnages sont des personnes. Leurs passions, leurs vertus et leurs vices ne sont point des allégories. Ils leur tiennent au sang, ils leur sont inhérens par la vertu d’une vraisemblable psychologie.

Il est relativement aisé d’étudier les ressources psychologiques d’un écrivain quand il met en scène des gens qui