Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/912

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
908
REVUE DES DEUX MONDES.

la préfecture d’Alsace qui meurt à Wissembourg ; un seigneur rhénan commet sur le territoire de l’abbaye des dégâts de chasse et de pêche ; l’abbé se plaint du magistrat ; le magistrat se plaint de la ville… Ce sont sans relâche des rivalités, des empiétemens, des coups de violence : on va devant les diètes de l’Empire, on va en cour de Rome ; rien ne s’arrange, et tout recommence.

Voici deux exemples caractéristiques.

Au XVe siècle, le palatin Frédéric Ier, se moquant de l’autorité impériale, veut agir en seul souverain de la ville et du monastère. L’abbaye, corrompue par les richesses, périclitait. L’abbé Philippe d’Erpach était mort en laissant un déficit de 30 000 florins. Dès que le nouvel abbé, Jean de Bruck, est instauré, Frédéric prétend réformer le couvent. Une commission palatine l’occupe, met le séquestre sur les bâtimens et les meubles, amène de nouveaux moines, dits de l’Observance. L’abbé et le prieur s’en vont. La ville prend parti pour les anciens conventuels opprimés. Frédéric l’investit avec des forces considérables et l’accable de deux mille coups de canon, en même temps qu’il essaie de l’incendier avec le feu grégeois. Il ne peut la réduire après un siège de soixante et onze jours. L’abbé en appelle à Rome et à l’Empire, et rentre dans Wissembourg aux acclamations de la population. Frédéric, furieux, attaque encore la ville, qui accepte la médiation des évêques de Worms et de Spire et de députés strasbourgeois, et, contre un tribut, il reconnaît à l’abbé et au prieur la jouissance de leurs dignités. Quelques mois s’écoulent et les Wissembourgeois chassent les fonctionnaires électoraux. On se bat de nouveau. Enfin l’abbé et le prieur restent maîtres, à la condition que les moines de l’Observance seront admis à titre de chanoines.

Peu après, à la fin du XVe siècle, un chevalier de Thuringe, Jean de Dratt, gratifié en 1485 par l’électeur palatin Frédéric Ier du château de Berwaststein, se conduit en chef de bandits, pille les villages du monastère, rançonne les voyageurs et les marchands, barre le cours de la Lauter pour empêcher le flottage des bois et la marche des moulins, affame la ville. Il prend figure de croquemitaine, la légende en fait ce fameux Hans Trapp qui sert encore à effrayer les enfans méchans d’Alsace. « Prends garde, disent les parens, Jean de Dratt va venir (Gieb acht, der Hans Trapp kommt). » La ville même n’est pas à l’abri