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guerre de Trente ans, pour toute population cent quarante personnes. Enfin le traité de Munster l’unit de nouveau à la patrie gauloise, après huit siècles de séparation, et le premier gouverneur de l’Alsace, Henri de Lorraine, comte d’Harcourt, pratiquant cette intelligente politique royale qui visait à s’attacher les cœurs et à conserver à la province ses mœurs, confirmait à Wissembourg et au Mundat tous leurs droits, franchises, coutumes et jouissances. Dès lors, le sort de Wissembourg est fixé. Ses murailles auront beau être renversées par ordre de Louis XIV en 1613 ; Vauban établira un système de fortifications connues sous le nom fameux de Lignes de Wissembourg, et, sous Louis XV, l’enceinte se relèvera, agrandie. Wissembourg est désormais forteresse et ville de guerre.

II

Ville de guerre ! le voyageur qui la visite ne s’en douterait pas. S’il monte sur les remparts inutiles qui font aujourd’hui la plus paisible des promenades, Wissembourg, dominée par la tour romane de l’église de Saint-Pierre et Saint-Paul, lui apparaît si petite, si resserrée, si mélancolique. Nul bruit ; dans les champs, autour de la vieille enceinte qui s’écroule, des paysans qui travaillent ; un calme laborieux que trouble parfois seulement le sifflet d’un train ; toute la tristesse reposante d’une ville déchue, qui se résigne. Qui dirait que le canon a si souvent retenti, que l’air a été plein du crépitement des balles, des cris des blessés, des hurrahs des vainqueurs, et qu’à tant de reprises, deux civilisations se sont affrontées sous ces murs ! Le regard s’arrête un instant sur quelques toits pointus, restes de l’architecture gothique, qui protègent d’humbles maisons, mais bientôt il se pose plus longtemps sur d’autres demeures, confortables habitations de bourgeois aisés, dont le grand toit coupé en deux, les nombreuses et claires fenêtres, les lignes élégantes perpétuent l’art du XVIIIe siècle. Il ne voit plus dans Wissembourg que ce qu’elle est vraiment, une petite ville française, reconstruite presque tout entière au temps de Louis XV, après l’incendie qui l’avait dévastée.

Quand on erre dans les rues, cette première impression se confirme vite. Sans doute, les vieilles maisons alsaciennes, avec une tourelle, les poutrages apparens, un escalier qui