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travers les dunes et les arbustes épineux, jusqu’au lac Figuibine, où beaucoup périrent, jusqu’aux marais de Goundam, où un plus grand nombre fut massacré, jusqu’aux roseaux du lac Debo, où l’on acheva d’exterminer les survivans avertis, par un rêve, de leur fin. Et cela, bien que ces inoffensifs docteurs, mal entraînés aux jeux de la guerre, tremblassent de peur avant de grimper sur les rallahs de leurs chameaux. En 1488, Ali-Ber exilait encore des lettrés.

Aussi les gens de Tombouctou reconnurent-ils avec empressement, pour empereur, lorsqu’il eut vaincu l’héritier légitime du sonni Ali-Ber, son lieutenant soninké Mohammed-Touré, personnage clairvoyant et génial qui avait, d’ailleurs, soustrait à la mort beaucoup de docteurs condamnés par le sonni. Le premier askia rétablit aussitôt, dans leur complète autorité, les jurisconsultes, les imans et les lettrés revenus d’exil sur son ordre. Très pieux, il fut à La Mecque escorté par 500 cavaliers, 1 000 fantassins et muni de 300 000 pièces d’or. Investi par le calife d’Egypte, il réforma les mœurs, obligea les femmes à se voiler, à s’envelopper et à s’enfermer. Léon l’Africain visitant Tombouctou vers cette époque, 1507, s’étonnait des boutiques nombreuses, des artisans partout à l’œuvre, d’un peuple de tisserands, d’esclaves au visage découvert, de vendeuses actives pour offrir les alimens, le lait, le beurre, la viande. Les habitans achetaient, avec leur poudre d’or, les manuscrits arabes, les tissus d’Europe, et les chevaux ; avec des cauries asiatiques, les menues choses, et l’eau de pluie, unique breuvage. Au passage du maire juché sur un dromadaire blond, suivi d’une cavalcade, les solliciteurs s’agenouillaient. Ils couvraient leurs crânes de poussière. La nuit, toute la ville dansait, malgré la fréquence des incendies flambant les terrasses de lattes et de paille.

M. Maurice Delafosse a patiemment reconstitué ces annales pour l’ensemble du Soudan. Travail considérable et qui rend sa vie entière au passé de notre empire. Il faut lire cette histoire des vieux peuples Nigériens, et s’étonner de leurs forces, de leur politique, de leur esprit organisateur même, tel qu’il se manifesta dans ces grandes fugues des Askias.

Sous le règne de l’Askia soninké tout se coordonne. Une armée permanente veille au salut de l’empire. La levée en masse est supprimée pour le bonheur des paysans. Le maire de