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UNE VILLE ALSACIENNE.

commande Pichegru. Il attaque : Desaix, qui commande la droite de l’armée du Rhin, marche sur Lauterbourg ; Michaud, sur Schleithal ; lui, se porte contre le centre, en face des Autrichiens de Wurmser qu’appuient les Prussiens du duc de Brunswick et les émigrés de Condé. L’assaut est irrésistible : les troupes françaises s’élancent sur l’ennemi, en criant : « Landau ou mourir… » enlèvent le Geisberg, refoulent partout Autrichiens, Prussiens et Condéens, et le surlendemain Landau est débloquée et libre.

Ce ne devait pas être la dernière bataille de Wissembourg, mais ce devait être la dernière victoire française. Où Villars, Coigny et Hoche avaient triomphé de l’ennemi insolent, Douay, le 4 août 1870, tombait, mort et vaincu, après avoir résisté de huit heures du matin à deux heures de l’après-midi contre trois corps d’armée avec une seule division. L’Allemagne enfin retirait de sa chair ce coin de Wissembourg.

III

Pour un Français, Wissembourg, c’est moins peut-être cette petite ville mélancolique et rose que ce plateau du Geisberg, où le sang de nos soldats a si souvent coulé et d’un flot si généreux. Là, depuis des siècles se sont heurtés deux civilisations et deux peuples, et le jour où le possesseur du sol a dû reculer, il n’a cédé qu’au nombre, recueillant de la gloire jusque dans sa défaite. De ces champs, de ces prés, de cette route qui les longe, de partout, s’élève la voix de nos morts. Quand on gravit ce plateau, il semble que des ombres vous accompagnent, ombres des soldats de la monarchie, des soldats de la première République, des soldats du second Empire. C’est un pèlerinage à travers un immense cimetière.

Ce cimetière immense domine depuis les hauteurs du Geisberg la ville de Wissembourg et regarde l’horizon assombri de forêts par où se glissa l’armée du prince royal Frédéric-Guillaume. Une route, qu’ombragent des arbres fruitiers, la contourne. Je la parcourus pour la première fois par un rayonnant après-midi du mois d’août. Pas un nuage au ciel, un soleil implacable, et, sur le chemin, l’ombre maigre des cerisiers et des quetschiers. Excitées par la lourde chaleur, de grosses mouches s’acharnaient contre nous. Néanmoins dans un silence,