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Vous touchez mon front, mes cheveux dévoilés,
Mes paupières closes,
Et je vous écoute, et vous me rappelez
De très vieilles choses, —
Car c’est du Passé, des souvenirs secrets,
Des lèvres fanées,
C’est de mes désirs et c’est de mes regrets
Que vous êtes nées !
— Ombres, vous gardez mes plus chères amours,
Mes fleurs les plus rares,
Et la cendre fine et chaude de mes jours,
Dans vos doigts avares ;
Tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai voulu
Des heures trop brèves,
Vous l’avez pesé… Seules, vous avez lu
Le feuillet des rêves !…
Oui, vous savez tout, Visiteuses de nuit,
Et je vous redoute,
Et sans vous, pourtant, je n’aurais nul appui
Sur l’hostile route ;
J’irais devant moi vers l’avenir diffus
Sans but et sans bible,
Si vous n’attachiez à tout ce que je fus
Des fils invisibles !
— Ombres, guidez-moi hors des vagues chemins,
Loin des rives pâles…
Je ne vous crains plus, je vous tends mes deux mains,
Ombres sororales ;
Votre voix ressemble au murmure des Morts
Dont le rythme berce…
Fantômes légers, vains et fluides corps
Qu’une voix disperse !


PASSÉ, DORMEZ EN PAIX…


O Temps, suspendu ton vol, et vous, heures propices, Suspendez votre cours !…

Passé, dormez en paix dans le linceul des cendres !
Je ne livrerai point de regrets superflus
Aux défuntes douceurs, aux choses qui n’ont plus