Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/945

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reflux, un roulis de reviremens, un tangage de contradictions qui causera au spectateur un insupportable malaise.

Puisque Régine est pure, Paul ne veut plus l’épouser. Il est probablement, depuis qu’il y a des hommes et qui se fiancent, le premier fiancé qui refuse d’épouser sa fiancée parce qu’elle n’a pas fauté. Tout ce que la cousine Louise obtient de lui, c’est qu’il fera semblant de croire que Régine est enceinte et qu’il joue auprès d’elle le rôle de sauveur. Ce sont des gens qui ont besoin de jouer tout le temps un rôle, et un rôle qui change d’acte en acte et de scène en scène, ce qui ne laisse pas de nuire beaucoup à l’unité de leur personnage. La bonne cousine Louise, égarée parmi ces incorrigibles comédiens, en fait la juste remarque. « Enfans trompeurs et sincères, tous deux vous déclamez des rôles. Mais d’où vient qu’à tout bout de champ vous vous évadez du programme ? Quel personnage invisible traverse la scène et vous fournit des répliques si belles que, si vous avez l’audace de les prendre, le reste de la pièce ne paraît plus qu’une farce grossière ? Oui, décidément, deux comédiens, mais avec un mystérieux associé. Votre amour, un vaudeville avec l’idéal pour souffleur. » Elle non plus, la complaisante cousine Louise, elle ne parle pas un langage très simple. La préciosité est une contagion dont on se défend mal dans une telle compagnie. Mais nous lui savons gré de partager un agacement qui commence à nous gagner. Ces enfans, plus trompeurs que sincères, qui est-ce qu’ils trompent ici ? Où commence, où finit leur sincérité ? On s’embrouille dans ce cabotinage.

Paul s’en va, Régine entre : « Il sait ta faute et consent à t’épouser, lui dit sa cousine. — Ah ! fait la jeune fille, il sait que je suis coupable, et il m’épouse ! Le pleutre ! — Mais non, reprend la cousine interloquée, je lui ai dit la vérité, non pas le mensonge dont nous étions convenus, mais la vérité vraie… — Ah ! repart aussitôt la jeune fille, il me sait innocente, et il m’épouse ! Le misérable ! » C’est à désespérer… La cousine commence à n’y rien comprendre, et nous, qui ne sommes pas de la famille, il y a longtemps que nous avons cessé d’y voir clair. Voici que maintenant Régine machine un autre stratagème. Elle va démentir sa cousine, affirmer que celle-ci mentait quand elle disait la vérité et disait la vérité quand elle mentait. Ainsi fait-elle. Dans une nouvelle entrevue avec Paul, elle recommence à parler de sa grossesse, cette fois en insistant, appuyant sur les détails physiologiques, calculant les mots, étalant tout le manège d’un accouchement clandestin. Tant et si bien que Paul lui crie : « Vous êtes ignoble ! » et que, ravie de cette exclamation, elle soupire,