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loin, forme un bloc verdoyant et superbe : essaie d’y pénétrer et les ronces t’arrêtent, les lianes t’entravent, les épines te déchirent, tu vas, tu viens dans le dédale des sentiers boueux. Tu es perdue ! — Régine. Il faut donc se tenir à distance ? — Louise. Oui, certes, lorsqu’il s’agit de l’âme du bien-aimé. A la rigueur, on déchiffre ses parens, son confesseur, un bonhomme quelconque, mais espérer connaître son amoureux, c’est folie ! Dans les rafales des tempêtes se poursuivent encore les ombres des amans qui se sont en vain cherchés pendant la vie. Malheur à celui que la passion conduit à explorer une âme ! Moi-même, plus d’une fois, j’en ai fait la dure expérience, et, pas mal de siècles avant ma naissance, Psyché l’avait faite aussi. » Il faut se résoudre à ignorer certaines choses. Il faut se résigner à ne pas tout comprendre. Un peu de simplicité ! Un peu de confiance ! Un peu d’aveuglement volontaire… D’où vient que cette recherche de la vérité soit plus difficile en amour ou plus dangereuse que dans tout autre sentiment ? C’est que celui qui veut se faire aimer cherche à se faire voir sous le jour le plus favorable et prend une physionomie d’emprunt ; celui qui aime n’aperçoit l’objet de sa passion qu’à travers le mirage de cette passion : c’est un double cabotinage… Mais cela va recommencer. Il est sage de nous en tenir là.

M. François de Curel est un écrivain admirablement doué pour le théâtre et qui passe son temps à ne pas nous donner les pièces que nous attendons de lui et qu’il est si capable d’écrire. Mais il ne veut pas admettre que chaque genre ait ses règles, ou ses exigences, ou ses limites, ou ses conditions, et qu’il faille en tenir compte. Il prétend ne relever que de lui seul et non du public. Il ignore tout ce qui n’est pas sa fantaisie personnelle. C’est son erreur et que nous avons peine à lui pardonner, en songeant à ce qu’il en coûte à lui-même et à nous. L’art a ses lois impersonnelles, durables, fondées en raison, dont nul ne s’est jamais affranchi sans dommage, et dont les plus grands écrivains, en s’y soumettant, ont reconnu la bienfaisance.

Mme Simone est pour le rôle compliqué et irritant de Régine une interprète excellente. Mme M égard prête à celui de la bonne cousine Louise la douceur inutilement apaisante qui convient. Et M. Garry fait de louables efforts pour donner au personnage de Paul Bréan, deux fois suicidé, une attitude supportable. Mais ce n’est pas commode. Et il faut avouer que la tâche est rude de prêter une apparence de vie à des personnages si violemment irréels.


Bourgeois, mes frères, j’espère pour vous que vous êtes de petits