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surprise, ne pouvait pas être votée. Cependant elle a été soutenue par M. Jaurès qui, quelques jours auparavant, avait été, parait-il, chargé par son groupe d’en présenter une dans le même sens. M. Briand a cru voir dans l’intervention de M. Jaurès une manœuvre qu’il s’est empressé de déjouer. Rien n’est plus déconcertant et, pour trancher le mot, plus immoral que l’attitude des socialistes unifiés à l’égard de la représentation proportionnelle : ils la lâchent, après l’avoir passionnément prônée, pour pouvoir s’unir aux radicaux sur le terrain électoral et combattre avec eux la loi de trois ans. Que pensera le pays de cette défection ? Sur ce point, les socialistes unifiés ne sont pas très rassurés ; ils sont gênés, embarrassés ; ils redoutent les sévérités de l’opinion qui leur demandera compte de la désinvolture avec laquelle ils ont abandonné une question à laquelle ils avaient attaché le salut de la République. Mais il y a un moyen très simple de se tirer de la difficulté. M. Jaurès le cherchait, M. Pugliesi-Conti l’a trouvé : c’est le referendum, la consultation directe du pays. Cela met tout le monde à l’aise. Malheureusement pour eux, M. Briand n’a pas voulu laisser cette porte ouverte aux socialistes, il s’est empressé de la leur fermer. Les socialistes ne seront donc pas admis à demander une consultation au pays : ils seront forcés de lui expliquer les variations de leur attitude, et ce sera difficile.

En attendant que le pays se soit prononcé, sous une forme ou sous une autre, résignons-nous donc à l’ajournement de la réforme électorale. La sagesse le conseille, mais il y a au Palais-Bourbon un certain nombre de députés qui n’en prennent pas leur parti : ils ont dit et ils ont fini par penser tant de mal du scrutin d’arrondissement, qu’ils sont résolus à tout plutôt que d’en subir une fois de plus la honteuse épreuve et ils se demandent si, toute autre combinaison ayant échoué, il n’y aurait pas lieu de revenir au scrutin de liste pur et simple, sans représentation des minorités, tel qu’on l’a pratiqué en 1885, en 1871, en 1848. Ce serait un résultat bien imprévu, bien illogique, de l’immense effort auquel se sont livrés les partisans de la Représentation proportionnelle. Leur système avait, en effet, pour but d’assurer la représentation, des minorités, tandis que le scrutin de liste pur et simple assure dans tout un département l’écrasement absolu des minorités sous la majorité, celle-ci ne fût-elle que d’une voix. Serait-il possible qu’on en vint là ? Mais une pareille question ne peut pas être traitée en passant et nous nous contentons de la mentionner pour revenir à notre conclusion, à savoir qu’au moment où nous sommes, toute bonne réforme est impossible. Tant pis