vos paroles, avoue-t-il, tout se serait arrangé avec le temps, notre sort serait devenu délicieux et de nature à exciter la jalousie et des dieux et des hommes. Car je sais, Vittorina, que moi aussi je vous aurais rendue heureuse comme mérite de l’être une créature de bonté. » Vainement Vittorina répète à l’ombrageux précepteur qu’elle plaisantait et qu’elle ne pensait point ce qu’elle disait quand elle le comparaît à un Titien ou à une statue grecque. Philippe Schwarz reste inflexible. Il prend congé de Vittorina pâmée, quitte le château et s’en va mourir de chagrin à Rome. Sur sa tombe on grave, d’après ses instructions, ces mots : Oblivisci nequeo.
Dans son château de Styrie où elle soigne sa vieille mère, la jeune baronne de Hainstetten apprend avec horreur cette fin tragique et prématurée. A force de volonté, elle surmonte le choc : sa mère morte, Vittorina s’empresse de mourir à son tour. Et sur sa tombe, dans le parc, on grave, aux termes de son testament, la même inscription latine : Oblivisci nequeo. Les sceptiques, les blasés, ces alme abbiette pour qui Paul Heyse, s’appropriant les vers de Leopardi, a proclamé son mépris, hausseront les épaules à de tels scrupules. Sacrifier un tangible bonheur à la chimère de la dignité humaine, quelle mauvaise farce ! Et certes, les amans capables des sentimens éthérés décrits dans Inoubliables paroles ne pullulent pas dans la vie réelle. Mais Paul Heyse, je le répète, ne visait point à copier la réalité. Inventer l’idéal, tel était bien plutôt son dessein.
C’est surtout dans les caractères de femmes qu’apparaît son irrésistible besoin d’embellir et d’idéaliser. Paul Heyse choisit souvent pour héroïnes des grisettes et moins encore ; mais il donne à ces humbles filles un cœur et des manières d’archiduchesses. Athénien de bonne race, il a soin d’égaler leur beauté physique à leur beauté morale, celle-là couronnant celle-ci. Elles ajoutent enfin à la beauté la grâce,
- …la grâce plus belle encor que la beauté.
Gesine, la blanchisseuse dont Jonathan finit par faire sa femme, ressemble « à une caryatide de l’Acropole. » Plus est