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basse la naissance de ces héroïnes, plus sont hautes leurs vertus. Elles ont la pudeur et la modestie, un certain abord farouche, mais, une fois qu’elles ont donné leur cœur, une fidélité prête à tous les sacrifices. Et peut-être sont-elles trop immuablement vertueuses. Les héroïnes de Paul Heyse sont sublimes, mais d’une sublimité un peu monotone à force d’être soutenue. ! Accostée sur le chemin de l’église par un peintre qui brûle de faire son portrait… et sa connaissance, la danseuse de corde Maria Franzeska l’éconduit en ces termes : « Vous vous trompez, monsieur, si vous me croyez sans défense contre les humiliations. Ces heures matinales tout au moins m’appartiennent, à moi et au ciel. Si c’est à la danseuse de corde que vous en avez, venez à la représentation ce soir. »

Le parti pris de montrer la femme pure dans telles conditions où la pureté lui est bien difficile éclate d’une façon plus significative encore dans le caractère de Lothka, l’héroïne de la nouvelle qui porte ce nom (1869).

Lothka doit le jour à une courtisane. Elle a passé son enfance dans une société corrompue. Fils et filles de demi-mondaines sont personnages de la comédie humaine a qui les romanciers naturalistes vouèrent une prédilection marquée ; mais toujours la même fatalité domine, d’après eux, ces existences : la fille d’une demi-mondaine appartient de toute nécessité, par droit de naissance en quelque sorte, à la galanterie. L’honnêteté, la régularité ne sont point permises, si l’on en croit les psychologues du roman expérimental, a la jeune fille née en marge de la société. Le plus souvent, d’ailleurs, la fille de courtisane s’accommode chez ces auteurs de sa déchéance. Lothka aboutit à peu près à la même conclusion, mais après des détours bien caractéristiques. Loin d’aimer le luxe impur où elle est élevée, Lothka ne songe qu’à conquérir la liberté avec la pauvreté, mais aussi avec l’honneur. Elle s’enfuit de la demeure maternelle et vient gagner à Berlin sa misérable vie en vendant des gâteaux rancis dans une pâtisserie de troisième ordre. Son beau visage où se lit une incurable tristesse lui attire des complimens intéressés qu’elle repousse avec hauteur. Pour son anniversaire, un jeune étudiant qui l’adore lui fait la surprise d’une broche en or. Elle éclate en sanglots et c’est la brouille avec ce soupirant discret qu’elle voyait jusqu’alors d’un œil favorable.

Et tout cela, vraiment, est peu commun. Mais comment