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n’être point persuadé, conquis, par la façon incomparable dont cette histoire est contée ? De cette fable étrange, Heyse a tiré quelques pages achevées. Il faudrait être insensible à tout ce qui fait la beauté formelle d’une œuvre pour résister à la grâce insinuante de cette nouvelle.

Lothka disparaît sans laisser de trace et son jeune amoureux, Sébastien, après l’avoir beaucoup pleurée, commençait presque à l’oublier quand il la retrouve une nuit de Noël distribuant à de pauvres enfans dans les rues de Berlin ses derniers pfennigs. Au sortir d’expériences désastreuses et qui ont fini de lui ôter le goût de vivre, Lothka a décidé de mourir. Elle se dépouille de ce qui lui reste avant de se tuer. Sébastien la ramène chez lui. Penchés sous la lampe, ils lisent ensemble la lettre de Noël où la mère de Sébastien lui souhaite d’heureuses fêtes, lui annonce de modestes cadeaux et lui recommande d’être sage. Lothka verse des larmes en songeant au bonheur d’avoir une mère avouable, un passé et un avenir d’honnêteté et de vertu. Cédant d’ailleurs aux prières de Sébastien, elle se donne à lui ; mais elle se lève à l’aube en tapinois. Et dans un jardin public on la trouve, le lendemain, morte empoisonnée.

Sébastien survit à son deuil, mais ce drame a brisé sa vie : « Et quand il mourut vers trente-cinq ans, raconte Paul Heyse, il ne laissait après lui ni femme ni enfans. »

Il est curieux, le goût de cet auteur, si étranger à l’esprit démocratique de notre temps, pour les héroïnes nées dans les rangs du peuple, pour les ouvrières et les campagnardes. Un de ses personnages exprime cet avis que le charme principal de la femme « tient non pas a l’esprit, mais à la nature. » Paul Heyse pense comme cet amateur. La nature est santé, vertu, beauté. Plus une femme est près de la nature, plus elle a chance de répondre à l’idéal du poète allemand.

Heyse posait en fait que la femme est dans les pays du Sud plus conforme à ce type qu’il aimait. Et c’est pourquoi un si grand nombre de ses héroïnes sont des Italiennes ou des Provençales, ou du moins des Allemandes taillées sur ces modèles méridionaux.

Dans Amour céleste et Amour terrestre, il oppose une femme d’esprit et une femme de cœur et il rattache assez finement ces deux types aux deux figures féminines du célèbre tableau de