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l’été, au risque de mécontenter l’utile et capricieux Mécène qui, dans ses crises d’ennui, le réclamait, il ne voulait pas quitter sa fraîche villa, où le chêne et l’yeuse lui donnaient de l’ombre, où la montagne le garantissait des vents brûlans. S’il s’éloigne de la Sabine, pendant la belle saison, ce ne sera que pour aller à Baïes faire de l’hydrothérapie. Il guettait les inventions ingénieuses des médecins ; et il a été l’un des premiers cliens de cet Antonius Musa, qui préconisait les bains froids et qui l’envoyait à Gabies ou à Clusium, pour les douches. Ce n’est pas là le tempérament d’un viveur extraordinaire. Ou bien, s’il a commis quelques excès, probablement fut-ce dans sa prime jeunesse et avant cette vingt-septième année où la sagesse lui devient un devoir et, timide, une habitude. Lorsque plus tard il assure qu’il est un porc du troupeau d’Épicure, il se vante ou plaisante avec mélancolie. En outre, il a l’esprit fin, l’esprit gourmet plus que gourmand ; les pires folies ne le tentent pas. Il était porté aux amusemens de l’amour, — ad res venerias intemperantior, dit Suétone ; — oui, mais non avec fureur, et il sut épargner à sa quiétude les alarmes de la passion, à son hygiène l’imprudence. Il prétend qu’amoureux de Lycé peu clémente, il est resté, toute une nuit, couché dehors, devant la porte de la cruelle, par un très mauvais temps : Lycé ne le crut pas ; et imitons cette belle avertie.

Il savait plaindre, sur le mode grec, la vie courte, les heures qui s’évanouissent comme un rayon de soleil à la cime des arbres, le fragile bonheur, l’allégresse qu’il faut qu’on ménage pour qu’elle ne tourne pas au chagrin, le bref secours que le vin prête au courage, la flânerie parmi les trompeuses caresses et la menace de la mort, qui ajoute à nos ferveurs une vivacité désespérante. Il nous apparaît ainsi, voluptueux, replet, subtil, doux à lui-même, dans la douceur italienne, dans la lumière des beaux jours, dans les sites célèbres et charmans et, à Rome, dans la compagnie indulgente des politiques, des lettrés et des courtisanes.

Tel qu’il est, et avec ses défauts, avec une certaine médiocrité de l’âme, il a bien de la grâce et des attraits auxquels je ne suis pas sensible autant que le furent, jadis ou naguère, mille et mille dévots de sa poésie élégante et de sa bonne humour. Que de militaires émérites et que d’officiers ministériels, de fonctionnaires et d’employés de l’enregistrement le lurent avec délice et, l’âge de la retraite venu, le traduisirent passablement ! Il leur recommandait les vertus dont la pratique n’est pas onéreuse ; il leur vantait une destinée humble et analogue à celle qui leur avait été accordée ; il ornait de jolies phrases