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par la force des choses, la France et l’Angleterre, d’ailleurs en pleine harmonie avec la Russie, étaient d’accord sur tous les points. Au moment où l’entente cordiale a été formée, l’Orient était tranquille et nul ne prévoyait l’ébranlement prochain auquel il devait être soumis. Ce n’est donc pas en vue de problèmes qui n’étaient pas encore posés que l’entente a été conclue : cependant elle s’y est adaptée parfaitement. On a dit beaucoup depuis quelques jours dans la presse que l’action de la Triple Alliance, provenant d’une unité plus réelle ou d’une discipline plus forte, avait été plus efficace que celle de la Triple Entente. Cela est-il bien sûr ? Il y a dans la Triple Alliance des divergences et même des oppositions d’intérêts qui n’existent pas dans la Triple Entente. On parle de résultats supérieurs obtenus par la Triple Alliance, parce qu’il a bien fallu reconnaître les intérêts primordiaux de l’Autriche et de l’Italie et y faire certaines concessions ; mais si la France et l’Angleterre n’ont rien obtenu de semblable, c’est parce qu’elles n’avaient pas à le demander et ne l’ont pas demandé en effet ; et quant aux intérêts de la Russie, ils ont été défendus et maintenus sur tous les points où la Russie elle-même l’a jugé nécessaire. Où est donc, en tout cela, l’infériorité de la Triple Entente ? Au surplus, ce n’est pas, en ce moment, de la force respective des deux groupemens que nous nous occupons, mais de l’accord des intérêts entre l’Angleterre et la France, et, s’il apparaît clairement sur le continent balkanique, il apparaît encore davantage dans la Méditerranée. Là aussi, la nature et la force des choses travaillent à un rapprochement de plus en plus intime entre les deux pays. Des élémens nouveaux s’y sont introduits. D’autres, qui y existaient déjà, se sont très amplement développés. La Triple Alliance y a étendu son domaine. Le fait importe également à la France et à l’Angleterre : les deux diplomaties ne peuvent ni l’envisager ni en raisonner différemment. Le lien de l’entente cordiale en est resserré. Qu’il ait été question de tout cela dans les conversations que le comte Berchtold et le marquis di San Giuliano viennent d’avoir à Abbazia, rien n’est plus certain. Qu’on en ait aussi parlé à Paris, rien n’est plus probable ; mais à peine avait-on besoin de le faire pour être sûr qu’on était d’accord.

Après cela, faut-il dire un mot d’une autre question qui a, depuis quelques jours, occupé la presse, à savoir s’il y a lieu de convertir la Triple Entente en Triple Alliance ? Nous ne dédaignerions nullement une alliance entre l’Angleterre, la Russie et la France, mais elle n’est pas indispensable pour faire équilibre à la Triple Alliance et, au