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entièrement à la bienvenue. Vous éclairerez ces jours tristes et les soirées infinies passeront comme des momens.

Aussi lui faisait-il préparer un petit logis dans son voisinage. Pour le mettre à l’aise, Mme de Staël lui répondait :

… Je suis la personne du monde la plus indifférente à tout le matériel de la vie et j’y penserai encore moins que de coutume quand je serai avec vous. Je vous dis cela pour que vous n’imaginiez pas de me recevoir comme une dame de Paris, mais comme la femme du monde qui a le plus pleuré à Werther et au Comte d’Egmont. Si vous ne revenez pas avec moi lundi, je vous préviens que je serai un peu blessée. On prétend ici qu’il n’est pas bien à moi d’aller vous chercher et peu galant à vous de ne pas venir me voir. Moi, je consens avec plaisir à ce premier hommage que mon esprit et mon cœur vous rendent avec tant d’abandon, mais, si je ne vous ramenais pas dans ma voiture, je sais d’avance que cela me ferait beaucoup de peine. Voilà une lettre écrite comme si je vous avais vu toute ma vie, mais ne vous ai-je pas lu toute ma vie ? Mais votre Werther n’est-il pas l’ouvrage que j’ai relu cent fois et qui s’est uni à toutes mes impressions ?

Goethe se ravisait cependant et prenait son parti de rentrer à Weimar. À partir de ce moment, les courts billets de Mme de Staël ne sont plus que des invitations ou des réponses à des invitations, relevées cependant par des mots gracieux ou d’innocentes coquetteries. C’est ainsi que, l’invitant à dîner avec Schiller, elle termine ainsi sa lettre : « Dites oui, c’est un très joli mot. » Un autre billet, très court, se termine par ce vers :

Bajazet, écoutez, je sens que je vous aime.

Le 1er janvier 1804, elle lui écrit :

Schiller vous a-t-il dit que je vous boudais ? Je vous dis ce compliment de nouvelle année. Si je m’établissais ici, vous feriez bien de me traiter comme tout le monde ; mais, pour quinze jours, n’auriez-vous pas dû me les donner sans chicanes ? Venez demain matin me voir ; je serai seule pour me fâcher sans témoin. Ne faut-il pas que j’avoue que je suis jalouse d’un professeur, nouveau genre de jalousie dont j’étudierai les sentimens.

Au commencement d’une autre lettre insignifiante de trois lignes, elle l’appelle : my dear sir, et termine ainsi : « Que dites-vous de : my dear sir. Il n’y a qu’en anglais qu’on a cette première nuance d’une timide amitié. » Sans doute Gœthe avait goûté la formule, car à quelques jours de là, elle l’employait de nouveau et lui écrivait :