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des Iles d’or (1re édition), suffisait amplement aux lecteurs sans badauderie[1].

Quelques dates significatives jalonnent l’espace parcouru, pendant soixante-cinq années au moins de persistante activité, par ce grand artisan des vers, qui n’a jamais consenti à sortir de son cadre d’homme des champs que pour s’y replacer le plus rapidement possible. Ces dates, sauf peut-être celle du mariage de Mistral (1876) et celle de sa mort, se rattachent exclusivement à des manifestations littéraires, à la régulière apparition de ses écrits. En 1848, rentré chez son père, mais stimulé par la publication récente des premières poésies de Roumanille, Li Margaridetto (les Pâquerettes), ce fils de paysan improvise avec fougue, et très probablement après avoir dévoré Jocelyn, une composition rustique en quatre chants, Li Meissoun (lesMoissons). : Quelques débris s’en retrouvent dans le volume, Li Prouvençalo (les Provençales), et aussi dans les Iles d’or.

Avec les dix pièces de vers qu’il a fournies pour ce recueil des Provençales, constitué par Roumanille en 1852, et dans lequel, pour la première fois, se rapprochaient et se comptaient les poètes « de la ville et de la campagne » des contrées d’Avignon, de Salon et de Saint-Rémy, tous décidés à n’employer, pour l’expression de leur pensée ou de leurs sentimens, que l’idiome vulgaire, ramassé à terre en lambeaux, mais réparé avec dévotion, retrempé à la source, et comme revivifié, Mistral se place évidemment à la tête de l’ardente troupe. Il donne l’impression qu’il est le chef, tout désigné par un décret providentiel, pour assurer un plein succès à la restauration que les trouvères provençaux se flattent d’accomplir. Je me borne, pour le moment, à désigner ces vers de début, déjà très personnels, mais je me promets bien d’y revenir. Ils sont pleins d’intérêt pour qui veut faire remarquer la rapidité d’éclosion des qualités, acquises et innées, dans cette nature poétique, dont la jeunesse est comme le trait dominant. Jeune elle restera, jusqu’à ne connaître jamais la tristesse de s’achever dans les gestes lourds et tremblans de la sénilité ; mais aura-t-elle, d’autre part, l’honneur et l’heur de s’affirmer, de s’élever aussi haut qu’il se peut, dans l’incontestable splendeur d’une œuvre puissamment virile ?

  1. Les chapitres XIV et XV de Mes origines sont intéressans pour les origines du Poème du Rhône et de la chanson de Mireille, « ô Magali, ma tant amado,