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Il doit être permis d’en convenir, sans s’exposer au reproche de ravaler le génie de Mistral : malgré les ouvrages de lui, venus après Miréio, il reste, avant tout et surtout, l’auteur de ce poème de l’amour et de la mort, entrevu peut-être à vingt ans, entièrement achevé aux environs de la vingt-septième année. Dès 1858, deux amis du rimeur Maillanais, Adolphe Dumas et Reboul, lisaient Miréio en manuscrit à Lamartine. L’auteur des Méditations cria au miracle. Mais qu’il voyait juste en découvrant, d’un seul coup d’œil, que l’avenir de ce jeune poète, inspiré si heureusement par le sujet le mieux approprié aux ressources de son génie, était tout contenu et comme emprisonné dans cette fortune présente ! Il le nommait, — après Adolphe Dumas, — le « Virgile de la Provence », et il aboutissait à cette conclusion inattendue, d’une rigueur presque platonicienne : Vous avez fait, disait-il à quelques mots près, votre chef-d’œuvre poétique. Rien ne sortira de vous, désormais, qui le dépasse ou qui l’égale. Un chef-d’œuvre ne se refait pas. Laissez les vers, retournez à vos blés, à vos mûriers, à vos troupeaux, à vos labours, et à « vos six attelages de mules. » O jeune homme qu’ont aimé les dieux, ne songez plus qu’à produire en perfection « cet autre chef-d’œuvre, une belle vie. »

Entre les deux ouvrages de Miréio (1858) et de Calendau (1866)[1], Mistral sera l’instigateur du groupement félibréen, presque autant qu’il sera poète. Déjà, de 1852 à 1859, s’était manifesté cet autre aspect de son industrieuse ardeur. Au congrès d’Arles, c’est à lui qu’on dut la décision qui imposa aux partisans de l’idiome provençal une réforme orthographique. Il mit même la main, autant que Roumanille, à la préface des Sounjarello (les Songeuses), qui en proclamait le principe et en déterminait les conditions. Il prit sa large part au congrès d’Aix et il contribua à l’œuvre qui en est sortie : Lou Roumavagi deis Troubaires (le Pèlerinage des trouvères). Surtout, il avait présidé, en 1854, la mémorable assemblée du castelet de Font-Ségugne.

C’est là que le vocable de félibre, bien ignoré, et peut-être forgé[2], mais né viable, fut présenté par lui. Le mot était tiré

  1. Je donne ici les dates, non de l’apparition, mais de l’achèvement des deux poèmes. Les dates de publication sont 1859 et 1867.
  2. Félibre pourrait être une leçon incorrecte : on l’a récemment soutenu. Pour Mistral, félibre a le sens de docteur. Cf. Trésor du Félibrige.