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devenait exclusif et, sous l’excitation de sophismes très ingénus, arrivait à voiler ou à défigurer l’image de la grande.

Cette tendance est plus marquée encore dans le sirvente de la Comtesse, qui fut composé en 1866. « Ah ! si l’on savait entendre ! Ah ! si l’on voulait me suivre ! » dit le refrain de cette pièce, au symbole admiré jadis, pour ce qu’on y trouvait d’énigmatique et de « mystérieux. » Mystère facile à percer, énigme qui n’est pas celle du Sphinx. Cette sœur issue d’un autre lit, et que sa sœur aînée, pour avoir son héritage, a mise au couvent, qu’elle fait même passer pour morte, sans pouvoir décourager ses amoureux, c’est la langue provençale, sans aucun doute. Mais n’est-ce pas le même poète qui s’était déjà écrié : « Qu’un peuple, face à terre, tombe esclave, s’il tient sa langue, il tient la clé qui le délivre de ses chaînes. » Et il n’y a pas, dans cette année 1866, d’autre application à faire de pareils vers que d’y reconnaître exprimé, par voie d’allusion, l’asservissement imaginaire, et tout métaphorique assurément, du comté provençal à la nation française.

Ainsi interprétées, c’est une sorte de malaise que procurent, à qui les entend maintenant, certaines rodomontades : « Tous en race nous partirions avec la bannière au vent, comme une trombe, pour enfoncer le grand couvent. Et nous démolirions le cloître où pleure, jour et nuit, où, jour et nuit, reste claquemurée la religieuse aux beaux yeux. En dépit de la méchante sœur, nous mettrions tout sens dessus dessous. Puis nous pendrions l’abbesse aux grilles d’alentour, et nous dirions à la Comtesse : Reparais, ô splendeur ! Loin, loin d’ici la tristesse ! Vive, vive l’ébaudissement ! » Mais peut-être n’y a-t-il là qu’une exaltation de mots, qu’une truculence de coloriste, qu’un effet de coup de soleil ? Nous sommes au royaume d’Arles, au pays où s’allonge, sur les eaux du Rhône, la silhouette belliqueuse des châteaux forts inoffensifs de Beaucaire et de Tarascon. Il y a lieu, souvenons-nous-en, de faire ici la part de l’amplification emportée ou joyeuse, et de compter avec cette puissance d’illusion, qu’un enfant terrible de la Provence, Alphonse Daudet, félibre lui aussi, mais si déniaisé, si tôt initié à l’ironie parisienne, définissait, comme sans y toucher, par cette image suggestive : « le mirage. »

Douze ans plus tard, après l’année terrible, une fois passées les heures des lamentations, Lou Saume de la Penitènci (le