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sors tes cornettes, — si tu ne les veux pas sortir, j’irai chez le maréchal (le forgeron), — qui mettra en pièces ta maison. » Mistral a reproduit la formulette populaire, à peu près textuellement, mais il imagine l’entretien, qui vient, comme de cire, après ce merveilleux point de départ : « Mignot, que fais-tu là ? — Petite pause. — Dans le gazon et la grève — tu ramasses des limaçons ? — Vous l’avez bien deviné, répliqua le petit… — Et puis, tu les manges ? — Moi, que non pas ! — Ma mère, tous les vendredis — les porte en Arles, pour les vendre — et nous rapporte du bon pain tendre. Y avez-vous été en Arles, vous ? — Jamais… » Comme il s’étonne, et qu’il est glorieux d’y avoir été, lui ! Ah ! il faut voir comme il en parle, ou comme, par cette bouche d’enfant, le panégyriste de la Provence saisit l’occasion, bonne ou mauvaise, de s’épancher sur un pareil sujet : il en abuse. Nous avons cette impression qu’après avoir, nous aussi, bu comme à la source et savouré le filet d’eau d’une exquise fraîcheur, nous descendons jusqu’au ruisseau tiède et banal, où le bétail s’est abreuvé. Banalité, d’ailleurs, de belle allure, et qui a plus assuré le succès, que la nouveauté rare.

D’une façon générale, les personnages sont vrais, et plus d’un d’entre eux ne manque pas de grandeur. La lutte de paroles des vieux, au chant VII, vise à l’héroïque. Elle fait penser à un autre héroïsme éloquent, celui de Don Diègue et de Don Gormas. Chez les paysans aussi, cette demande en mariage est d’une réelle noblesse. La réponse indignée des parens de Mireille, de la mère surtout, qu’a soulevée de fureur la prétention des va-nu-pieds, exprime fortement une réalité brutale. Quant à l’exaltation, un peu déclamatoire, des époques où ces deux hommes d’âge avaient vingt ans, la Révolutionnes guerres de l’Empire, elle atteint, par momens, aux effets d’ampleur, de vigueur et de majesté ; mais l’intention est bien visible, et l’effort un peu trop marqué. Le sublime qu’on veut avoir nuit à l’élévation qu’on a.

Cette élévation naturelle réussit à porter très haut le chant des Prétendans. Alari, Véran, Ourrias s’avancent, opulens et tiers, comme trois jeunes rois. Voyez le berger Alari : ses mille têtes de bétail restent tout l’hiver, le long de l’étang lumineux d’Entresson, occupées à brouter les hautes herbes du marécage, à saveur de sel, puis, commandées par lui, à l’heure « où le blé se noue, » elles remontent dans les Alpes, pleines de fraîcheur.