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vient de mourir à un âge fort avancé, s’est fait porter dans la salle, car, depuis quelques mois, il ne peut plus se porter sur ses jambes. Il a lu un discours en honneur de feu son collègue. Les personnes qui ont assisté à la séance m’ont assuré que ce morceau d’éloquence avait fait beaucoup d’effet, grâce à la manière dont l’auteur l’a débité.

Quoi qu’il en soit, les amis du prince de Talleyrand n’ont pas manqué de dire que son discours avait produit le plus merveilleux effet dans le monde politique et littéraire. Le Journal des Débats en a fait un éloge pompeux qu’on a lu au prince, qui est ravi et enchanté. J’espère, pour son bonheur, qu’il n’a pas lu les articles du Constitutionnel, du National et d’autres journaux, qui le déchirent impitoyablement et le traînent dans la boue.

Ce que Mme de Dino redoutait arriva : M. de Talleyrand, vieux et fatigué comme il l’est, a été très souffrant à la suite de l’effort qu’il a dû faire. On a craint une attaque d’apoplexie, car il a eu deux syncopes très alarmantes. Je suis allé le voir, ces jours derniers, il n’y avait que très peu de monde : la duchesse de Dino qui ne le quitte pas, Mlle de Périgord, le duc de Noailles, et l’ambassadrice de Sardaigne, MM. de Montrond et de Valençay qui peuvent être considérés comme de la maison ; tous s’occupaient du maréchal Soult qui était là et dont la présence semblait fatiguer le prince. Le salon était fort peu éclairé ; M. de Talleyrand avait des quintes de toux très fortes, ce qui préoccupait singulièrement Mme de Dino ; elle en était si inquiète qu’elle ne pouvait suivre la conversation avec un peu de suite. Couché dans son fauteuil, M. de Talleyrand ne disait presque rien. Tout le monde parlait bas. Un seul coin du salon était un peu plus animé que le reste, celui où Mlle Pauline faisait les honneurs à Marie Apponyi et à Mlle de Brignole. Ces trois jeunes personnes riaient entre elles ; leurs éclats arrivaient de temps en temps jusqu’à nous et faisaient sourire quelques personnes de notre cercle, d’ailleurs si grave, si peu animé.


16 mai. — Hier a eu lieu un ravissant déjeuner dansant, chez nous à Auteuil[1]. Tout le monde était enchanté de se trouver dans ce ravissant séjour, aussi près de Paris, au milieu d’un parc superbe.

  1. L’ambassadeur avait loué à Auteuil, pour y passer l’été, une maison de campagne dite le Château de la Tuilerie.