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« C’est une véritable féerie, » me disait-on.

Et toute cette foule circulait facilement dans cette immense salle, dans ces vastes appartemens tout embaumés du parfum de cette masse de fleurs. Les terrasses, la vaste lanterne de la tour, la plate-forme sous les combles du château, tout cela était couvert d’invités qui ne se lassaient pas d’admirer et jouissaient sans contrainte des enchantemens de ces lieux.

La fête a duré jusqu’à huit heures, et c’est alors seulement que nous avons dîné. La princesse Berthe de Rohan a diné avec nous et a passé la soirée. Pendant le plus brillant moment de la fête, le bruit s’est répandu que le prince de Talleyrand était mort. Il était au plus mal il y a deux jours et, à l’heure qu’il est, il n’est pas mort encore, mais à toute extrémité ; on attend sa fin d’un moment à l’autre. L’abbé Dupanloup y est pour l’assister. J’ignore si l’archevêque de Paris a fait quelque tentative pour voir le prince. Il ne manquera pas certainement de le faire dès qu’il aura eu la nouvelle du danger de mort dans lequel il se trouve.


2 juin. — Mlle Pauline de Périgord a la fièvre tierce, à la suite des émotions qu’elle a éprouvées au moment de la mort du prince de Talleyrand. Marie[1] va la voir et la trouve horriblement changée ; elle a sincèrement aimé son oncle, mais, malgré cela, elle en avait une peur affreuse. Aussi a-t-elle assuré à Marie que chaque fois que sa mère et l’abbé Dupanloup l’envoyaient auprès du prince pour obtenir la fameuse signature[2], elle était dans un tel état de violence, produit par le combat qu’elle se livrait à elle-même, qu’en sortant de la chambre de son oncle, il lui était arrivé de s’évanouir. Sa mère et l’abbé Dupanloup lui avaient dit qu’elle était responsable de la réussite de la chose, d’où dépendait le salut éternel du prince. Mlle Pauline, pieuse et fervente, douée d’une imagination vive, nerveuse et impressionnable, a donc souffert mort et martyre pendant toute la semaine qui a précédé la mort du prince de Talleyrand.

« Tu ne te figures pas, ma chère Marie, disait-elle, ce que c’est que de voir mourir une personne que l’on aime. Mon pauvre oncle ne pouvant rester couché, à cause de l’énorme

  1. Marie Apponyi, fille de l’ambassadeur.
  2. La rétractation des erreurs de sa vie, que Talleyrand n’a signée que quelques heures avant sa mort.