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royauté n’existe vraiment que de nom, le témoignage de l’enthousiasme populaire, pour la jeune Reine, tient plutôt aux usages et à des formes traditionnelles dont les Anglais sont esclaves, qu’à l’amour que le peuple devrait professer pour le souverain.

Quoi qu’il en soit, la Reine a été vivement applaudie par ses sujets, chose qui n’arriverait certainement pas en France. Sous ce rapport, l’Angleterre, en dépit des Whigs, offre encore des ressources contre un bouleversement social. Néanmoins, les mêmes cris de joie et d’enthousiasme qui ont retenti pour la Reine, ont été prodigués aussi au maréchal Soult. C’est qu’il est, à la fois, le représentant de la royauté de Juillet et du bonapartisme. Il est homme du peuple, sorti de cette foule pour s’élever au grade le plus éminent. Son talent lui a valu de la gloire à juste titre et le « mob » (populace) de Londres, en vénération devant le maréchal, n’adore en lui que l’homme du peuple et la révolution épicière de ses confrères de Paris. Si les habitans des bords de la Tamise ont applaudi la Reine par habitude, ils ont, par contre, applaudi le, maréchal par un sentiment bien raisonné.

Ce qui vient encore à l’appui de mes dires, c’est que le Duc de Nemours se trouvait complètement effacé par le maréchal. Les démonstrations en faveur de celui-ci ne prouvent donc pas qu’il règne de l’amitié, entre les gouvernemens d’Angleterre et de France ; elles révèlent, tout au contraire, des sympathies cachées qui existent entre les deux grandes capitales, mais peu favorables aux deux gouvernemens.

En ce qui concerne le Duc de Nemours, il faut reconnaître que la Cour et la ville ont été bien sévères pour lui. Je sais, par Mme de Liéven, que la reine d’Angleterre a été très choquée d’une visite que le prince lui a faite dans sa loge au Théâtre-Italien. Elle a trouvé que cette démarche avait été trop familière et que le Duc de Nemours aurait dû, avant de la hasarder, faire demander la permission à Sa Majesté britannique.

Je ne connais pas suffisamment l’étiquette de la Cour de Saint-James pour savoir si, et en quoi, le Duc de Nemours a manqué à la Reine dans cette circonstance, mais ce dont je suis parfaitement sûr c’est que, loin de vouloir offenser Sa Majesté, il a fait au contraire un grand effort sur sa timidité en se rendant dans la loge royale, et qu’il n’y aurait certainement pas été, s’il ne l’avait cru de son devoir.