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diables !… » On y va fort bien aujourd’hui, non seulement pour les fresques, mais pour les cloîtres et les souvenirs du saint lui-même et pour y renouer la tradition des Giotto, des Sassetta, des Simone di Martini et des Ghirlandajo.

Mais, à les bien regarder, ces peintres ne les renouent pas du tout. Il y a un abîme entre les anciens imagiers de la légende franciscaine et les nôtres. Chez les Anciens, beaucoup de surnaturel et fort peu de nature ; chez les contemporains, beaucoup de nature et point de surnaturel. Dans toutes les fresques de Giotto, de Sassetta, ou de leur école, on ne trouve pas un paysage, hors la figuration de quelque arbre conventionnel dans la Prédication aux oiseaux, ou d’une rocaille artificielle dans les Stigmates. Le fond le plus digne de ce nom est celui que nous voyons à Chantilly, dans les Fiançailles de saint François avec la Pauvreté : la route montant droit, de la Portioncule jusqu’à Assise, entre les carrés de culture disposés il y a sept cents ans comme ils le sont encore aujourd’hui et, au bout, les montagnes du Subasio. À part cela, rien ne nous donne la sensation de la nature : c’est l’arbre, c’est le rocher idéographique ou, si l’on veut, hiéroglyphique mis là pour indiquer le lieu de la scène. Chez M. Maurice Denis comme chez M. Burnand, le paysage enveloppe, imprègne, pénètre les figures, les transfigure, et l’action est réduite à rien. Il y a un abîme entre les deux sentimens. Ce qui touchait les Primitifs, c’était les faits miraculeux, les dérogations aux lois naturelles, le coup de théâtre divin qui dérange l’ordre établi et la monotonie des jours : le saint qui passe dans le feu sans se brûler, les diables qui s’envolent des cheminées de la ville d’Arezzo, la basilique qui dégringole et le moine qui, de son épaule, la soutient, les traits de feu qui partent d’un ange crucifié et viennent percer le saint aux quatre membres. Ce qui touche nos contemporains, c’est la splendeur ou la douceur des phénomènes naturels, la bénédiction du printemps dans la plaine d’Assise, l’hymne au soleil que semblent répéter tous les sommets de l’Ombrie, la communion intime du saint avec ses sœurs l’alouette à capuchon, son frère l’agneau, l’eau des sources, l’abeille des ruches, les fleurs du jardin de sainte Claire, son extase devant « la beauté des champs, le charme des vignobles et tout ce qui était plaisant aux yeux, » selon le dire de son disciple Thomas de Celano.