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Saint François d’Assise est, au plus haut point, un saint champêtre et si les paysagistes avaient un patron, c’est lui, assurément, qu’ils peindraient sur leur bannière. Ses disciples, aussi : sylvestres homines, dit la Légende. Or notre époque est précisément l’époque bénie du Paysage. Le phénomène s’explique donc tout seul. Ce sont des paysages avec leurs hôtes habituels qu’ont figurés M. Burnand et M. Maurice Denis, ou bien des rues de villages, ou encore des cloîtres recourbant l’arc de leurs arceaux sur les traits effilés des cyprès. Saint François bénissant Assise est un malade arrêté sur la route ; saint François apprivoisant des tourterelles ou prêchant aux bêtes au pied d’un chêne immense ou d’un olivier, sur le bord d’un chemin, est un charmeur d’oiseaux. C’est un simple paysage que Frère Junipère coupant le pied à un porc pour le donner à un malade, et quand Frère Égide travaille à la vendange, il nous rappelle les héros ordinaires de M. Lhermitte.

Même quand l’artiste moderne choisit, dans la vie de saint François, un trait miraculeux comme son prédécesseur, l’abîme subsiste. M. Burnand nous montre le Loup de Gubbio, mais ce n’est plus la bête féroce transformée en un hôte mansuet, qui tend la patte au magistrat de la ville, chez Sassetta, tandis que le notaire prend acte de ses bonnes dispositions. C’est une vulgaire scène de genre : des enfans et des femmes groupés autour d’un gros chien-loup qui lèche une assiette avec philosophie, — quelque chose comme une Fable de La Fontaine, illustrée par Gustave Doré. M. Burnand se souvient bien des stigmates, mais il ne nous les montre pas : il nous montre saint François descendant du mont de l’Alverne, avec Frère Léon, « après la scène des stigmates… »

Par là, on voit que nous n’avons pas tellement changé depuis le président de Brosses ! Ce qui a le plus changé, en nous, c’est le sentiment de la Nature. Ce qui est nouveau, c’est le goût des minutes recueillies et le ragoût des vertus inexplicables. Nous aimons venir, de temps en temps, puiser à ces grands réservoirs de silence que sont les cités désuètes de l’Ombrie et à nous distraire du spectacle de l’ « arrivisme » contemporain par celui de ce petit frère qui déploya toute l’énergie dont un homme est capable, une énergie napoléonienne, à n’ « arriver » à rien, — qu’au Ciel. Ainsi, la Portioncule, les Carçeri, les grottes témoins des miracles de la