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semble-t-il, et l’on ne saurait imaginer plus forte antithèse que celle ménagée par le hasard, avenue d’Antin, entre le Poète de M. de Charmoy, menu, émacié, plié dans une robe quasi monacale, rentré dans le « repos que la vie a troublé, » après s’être égaré, un instant, dans notre vie combative, — et l’Aviateur de M. de Monard, type moderne de l’homme d’action, dompteur d’élémens, frappé en plein vol, comme un oiseau de proie, image encore redoutable de la force, musculeux, le bras raidi dans une contraction suprême et un dernier effort. M. de Monard, en le figurant ainsi, a poussé à son extrême le caractère de la combativité moderne, comme M. de Charmoy, dans son Poète, à leur extrême, les signes de la « mort contemplative » et du renoncement.

Si l’on veut saisir un autre contraste, celui entre le doux évangélisme ombrien et la catholique Espagne, on n’a qu’à passer des images de M. Maurice Denis au Cardinal de M. Zuloaga, précisément exposé dans la salle voisine (salle XI). L’un est tourné vers le Ciel, l’autre est tourné vers l’Enfer. Saint François d’Assise vit et chante et danse presque dans un air léger, lumineux, aux ombres transparentes. Le terrible cardinal de M. Zuloaga est pesamment attaché au sol, sollicité par les puissances d’En-Bas, dans un pays sans atmosphère, massif, sans lumière, sans joie, où flotte comme une odeur de soufre, guetté par le regard équivoque d’un caudataire que la pourpre, et non le salut des âmes, hypnotise. M. Zuloaga est le peintre du cauchemar. Et c’est un bon peintre. Dans sa vision, comme il arrive quand on fait un rêve pénible et obscur, il n’y a pas de plans. Tout se présente avec la même densité, le même poids, la même intensité. La montagne et la ville voisines sont entrées dans la pièce où est assis le Cardinal et installées entre son fauteuil et sa table. Les roses du tapis sont aussi vivantes que celles du vase ou, si l’on veut, aussi mortes. Les rochers et les cyprès font partie du mobilier comme le bréviaire. Le tout a l’air tissé et brodé dans une même étoffe, somptueuse et lourde. Et c’est un parti pris fort extraordinaire. Mais si l’on accepte ce parti pris, il faut convenir que voilà une puissante peinture, cohérente, harmonieuse, fort peu moderne d’ailleurs, et je plains les archéologues chargés, dans quelque cinq ou six cents ans, d’identifier ce tableau.

Ils noteront sans peine, toutefois, qu’au XXe siècle, la France