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peintres de ce temps et qui éclatent encore dans le Portrait du marquis de Ségur, aux Champs-Elysées (salle 3). On ne pourra faire l’histoire de la troisième République, ni de la pensée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, sans consulter M. Bonnat. C’est lui qui a le plus fortement exprimé le caractère de l’homme moderne, tout cerveau, tout travail, peu ou point pittoresque de costume, de pose, d’habitudes, sans rien d’apprêté, ni d’ostentatoire : un front lumineux dans une redingote noire. D’autres ont creusé plus profondément les traits individuels ou, avec plus de finesse, poursuivi l’expression fugitive. D’autres ont donné une vie plus palpitante aux chairs et aux regards. Son œuvre, à lui, quand on la rassemblera, en des « rétrospectives, » comme on fait celles d’Ingres ou de David, expliquera, mieux que nulle autre, en quoi nos contemporains illustres auront différé des enthousiastes de la Révolution, des doctrinaires de 1830, des imprévoyans du second Empire. Pour les historiens de l’avenir, obligés de se reporter aux images, les hommes représentatifs de notre temps seront les « hommes de Bonnat. »

Ce sont des caractères fort différens qu’on trouve dans les meilleurs portraits d’hommes exposés aux Champs-Elysées, c’est-à-dire : le Portrait du sculpteur Jean Baffier, par M. Joron, M. F. de Mély, par M. Patricot, l’Amiral Germinet, par M. Jonas, M. Santos-Dumont, par M. Flameng, William Forôes, Esq., par M. Harris Brown, l’Éleveur normand, par M. Vogel, et M. Shepard, par M. Hall, ces trois derniers en habit de chasse et le fouet à la main et dans les meilleurs portraits d’hommes exposés avenue d’Antin, c’est-à-dire avec ceux déjà cités, le Colonel d’Osnobichine, par M. Boutet de Monvel, et le Comte Szecsen, ambassadeur d’Autriche, par M. Tadé Styka. Ils se rattachent tous à des souvenirs de maîtres anciens et leurs physionomies mêmes n’ont pas le cachet exclusif de modernité qu’ont les physionomies de M. Bonnat.


IV

Que dira-t-on maintenant de notre Art décoratif ? Et, d’abord, en parlera-t-on dans cent ans et les élèves studieux de nos écoles apprendront-ils, dans des manuels, les caractéristiques du style 1914 ? C’est une opinion assez répandue, dans l’esthétique