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des phrases du disciple de saint François, nous percevons nettement l’écho de la voix, — et du cœur, — de son maître ?

« Que si ta femme te rend la vie pénible, — nous dit par exemple saint Bernardin ? — il faut qu’ou bien tu tâches à la corriger par de bonnes et douces paroles, ou bien tu te résignes à la supporter. Jamais, en aucun cas, tu ne devras la battre ! » C’est exactement le contraire de ce qu’enseignait, vers le même temps, dans la même ville de Sienne, un autre fameux orateur et docteur franciscain : « Si ta femme ne se laisse pas amender par des paroles aimables, — écrivait en effet le frère Chérubin, — reprends-la en paroles brusques et âpres, en menaces violentes ; et puis, que si cela encore ne suffit pas, saisis ton bâton et bats-la fortement ! » Piglia il bastone e battila molto bene ! Mais saint Bernardin ne se faisait pas faute de contredire jusqu’aux plus illustres des docteurs de son siècle, chaque fois qu’il avait conscience de défendre contre eux la doctrine et l’esprit de ce saint François qu’il a vraiment réussi à continuer, ou plutôt à « recommencer, » ici-bas, un peu de la façon dont saint François avait naguère rêvé de « recommencer » le Christ des Évangiles. Écoutons-le s’efforçant à dissiper dans l’âme de ses auditeurs la crainte d’une venue prochaine de l’Antéchrist, dans l’instant même où cette venue leur était solennellement annoncée par saint Vincent Ferrier et d’autres éloquens visionnaires dominicains :


Moi-même, depuis que j’étais tout petit, j’ai entendu affirmer que l’Antéchrist était né. Mais que dis-je ? Dès le temps des apôtres, on assurait déjà qu’il était né, et puis encore au temps de saint Bernard. Et voici que l’on se remet à l’assurer de nos jours ! Ah ! quelle folie c’est là, de vouloir en connaître plus long que le bon Dieu a voulu que nous en connaissions ! Qui donc y a-t-il qui sache ce qui en est de l’Antéchrist ? Pas une créature au monde qui le puisse savoir, attendu que Jésus-Christ lui-même, en tant que Dieu, n’a pas voulu le dire aux apôtres, ni même ne l’a jamais su pour son compte, en tant qu’homme !… Jamais l’Antéchrist ne viendra, si ce n’est au jour où un silence de mort aura achevé d’envahir notre foi chrétienne !


« Combien est fort et plein de noblesse celui qui a plutôt passion que compassion de son prochain ! » s’écriait encore notre prédicateur siennois, avec un jeu de mots qui aurait rempli de joie l’âme naïve et brûlante du Poverello. « Savez-vous, — demandait-il à ses ardens compatriotes, toujours prêts à se diviser en d’implacables factions politiques, — savez-vous qui est vraiment aveugle et sourd ? C’est celui qui prend parti pour les Guelfes ou les Gibelins ! » Et comme on lui reprochait respectueusement de n’avoir pas accepté le siège