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épiscopal de Sienne, qui venait de lui être offert par le pape Martin V : « Si j’étais revenu ici comme vous vouliez que j’y vinsse, c’est-à-dire en qualité de votre évêque, cela m’aurait fermé la moitié de la bouche. Tenez, voyez, comme ceci ! Voilà comment j’aurais été, et nul moyen de vous parler dorénavant autrement qu’avec la bouche à demi fermée ! Or, moi, j’ai voulu venir chez vous de façon à pouvoir vous parler ainsi, à bouche déployée : parce que, de cette façon, je puis vous dire ce que je veux, et vous parler à ma manière de tous les sujets ! » Ne nous semble-t-il pas voir saint François lui-même, dans la petite chaire extérieure de l’église Saint-Nicolas, sur la place d’Assise, s’amusant à fermer d’une de ses mains la moitié de sa bouche, pour mieux représenter à ses concitoyens la peine qu’il aurait eue à s’entretenir avec eux s’il s’était laissé entraîner à accepter l’une ou l’autre de ces dignités ecclésiastiques dont on ne cessait pas de vouloir l’affubler ?


Aussi ai-je la conviction qu’un jour viendra où ce seul vrai disciple et continuateur de saint François d’Assise prendra place dans tous nos cœurs à côté de son maître, — s’y substituant désormais aux douces et médiocres figures de ce frère Léon ou de ce frère Égide que je soupçonne de n’avoir même jamais essayé de comprendre l’héroïque grandeur « active » du maître qu’ils aimaient. Je dirai plus. Né en Ombrie d’un père ombrien, saint François ne saurait cependant être considéré comme le compatriote de ces pieux et paisibles rêveurs qu’il menait à sa suite : dès le début, les deux sangs, italien et français, qui se mélangeaient dans ses veines ont fait de lui un être singulier et indéfinissable, avec un tempérament et un caractère profondément différens de ceux que nous font voir les diverses espèces de la race italienne. Mais il n’en reste pas moins, après cela, que nulle autre cité d’Italie ne nous montre autant que la patrie de saint Bernardin un ensemble de qualités intellectuelles et morales qui ait de quoi nous rappeler, de près ou de loin, cette étrange nature du Poverello, avec son double besoin de rêve et d’action, son amour passionné de la vie Raccompagnant d’une impuissance foncière à concevoir celle-ci autrement que « sous la catégorie de la poésie. » Dans la mesure où il était possible au génie de saint François d’être compris et senti d’une des nations italiennes, c’est incontestablement à la nation siennoise que devait revenir ce précieux privilège ; et, en effet, il n’est pas douteux qu’au point de vue de la figuration artistique, par exemple, aucune autre école n’a égalé les vieux maîtres siennois en