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ses désastres en Extrême-Orient, et son armée, reconstituée, serait, quoi qu’il arrivât, à la hauteur de ses devoirs : elle assurerait la sécurité et défendrait l’honneur du pays. Cela était dit sur un ton péremptoire, où l’on sentait frémir une sourde colère, et donnait l’impression d’une patience poussée à bout. Un article de ce genre acquiert de l’importance par la personnalité de son auteur : le bruit s’est répandu que celui du journal russe était l’œuvre du ministre de la Guerre lui-même, qui n’avait pas dédaigné de déposer un moment l’épée pour prendre la plume et maniait celle-ci comme celle-là. La presse allemande n’est insolente que si on ne lui résiste pas ; lorsqu’elle s’aperçoit qu’elle cesse de faire peur, elle s’arrête, comme si elle cessait elle-même d’être très rassurée. À peine quelques derniers et faibles grondemens ont-ils indiqué qu’elle battait en retraite : au bout de quarante-huit heures, elle avait cessé de parler de la Russie. Mais le gouvernement allemand n’avait rien dit. En vain, pendant plusieurs jours, la presse russe avait-elle demandé si l’article de la Gazette de Cologne était un article inspiré d’en haut, ou s’il fallait le considérer comme une élucubration personnelle à ce journal. En dépit de son insistance, la question était restée sans réponse, et ce mutisme du gouvernement allemand avait augmenté l’irritation de l’opinion russe jusqu’à l’explosion finale. Enfin, il y a quelques jours, M. de Jagow, ministre des Affaires étrangères, parlant devant la Commission du budget du Reichstag, a fait tout un discours sur la politique étrangère : il s’est expliqué sur tous les incidens survenus depuis quelques mois et n’a pas oublié l’article de la Gazette de Cologne. — Cet article, a-t-il dit, ne provenait nullement d’une source officielle et, pour mon compte, je l’ai vivement déploré. — À la bonne heure ; mais pourquoi M. de Jagow n’a-t-il pas parlé plus tôt ?

En ce qui touche la France, les choses ont eu un caractère différent. Nous avons déjà parlé de la campagne entreprise en Allemagne contre notre Légion étrangère, puis nous avons cessé de le faire parce que la campagne avait cessé elle-même : l’opinion allemande semblait s’en être désintéressée. Mais c’était une erreur. La campagne contre la Légion étrangère est intermittente : on la prend, on la laisse, on la reprend en Allemagne, suivant l’état des esprits à notre égard, de telle sorte qu’on pourrait la considérer comme un thermomètre propre à indiquer si l’humeur de nos voisins nous est plus ou moins favorable ou hostile. Considéré ainsi, l’instrument peut rendre des services : à tout autre point de vue, il n’est bon à rien, sinon à