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brûlait de réparer cet échec. Ce parti aurait voulu entraîner la Prusse dans une nouvelle coalition contre la France, qui était déjà en guerre avec l’Angleterre, et dont les relations avec l’Autriche, comme avec la Russie, commençaient à être très tendues. À ce parti appartenait le prince Louis-Ferdinand, et il était notoire que les sympathies de la Reine penchaient de ce côté. Mais il y avait un autre parti, moins fier, plus politique, qui redoutait une rupture avec la France. L’armée française avait, au mois d’octobre précédent, sous la conduite de Mortier, envahi le Hanovre, dont le territoire était le domaine patrimonial du roi d’Angleterre ; elle n’était qu’à trois journées de marche de la frontière prussienne. Les conseillers de Frédéric-Guillaume redoutaient de donner quelque prétexte au mécontentement du Premier Consul et de provoquer, de sa part, quelque démonstration hostile. Le comte de Haugwitz, ministre des Affaires étrangères, comptait parmi les plus timorés. Son collègue, le baron de Hardenberg, ne l’était guère moins, du moins à cette époque, car il devait l’année suivante, et peu de temps avant la rupture avec la France, le remplacer au Ministère. Sans doute, tous deux redoutaient, en témoignant trop de bonne grâce à Mme de Staël, notoirement en disgrâce à Paris, d’indisposer le Premier Consul. Ils auraient dû cependant être rassurés par l’attitude du propre représentant de la France, Laforest, qui ne craignait pas, on l’a vu par les lettres de Mme de Staël, de se compromettre avec elle et qui, au cours de sa longue carrière diplomatique, fit toujours preuve d’une rare indépendance[1]. Un événement tragique allait bientôt à Berlin venir en aide au parti anti-français.

Mme de Staël était en relations fréquentes avec le prince Louis-Ferdinand, chez qui elle trouvait beaucoup d’esprit et d’animation en conversation. Parfois elle l’invitait à souper en tête à tête et faisait « feu des quatre pieds » pour lui tenir tête. Cependant elle préférait, en général, et pour cause, ne pas le recevoir le soir. « Croiriez-vous, écrivait-elle à sa cousine Mme Necker de Saussure, que ce séduisant prince Louis, qui a certainement de l’esprit et une belle figure prussienne, a la parole toujours embarrassée après dîner et que je préfère avec soin de lui donner

  1. J’ai parcouru, au ministère des Affaires étrangères la correspondance de Laforest. Bien qu’en plus de ses dépêches il adressât des bulletins détaillés sur la société de Berlin, le nom de Mme de Staël n’y est pas mentionné une seule fois.