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interprêtes latins. Les Arabes lui apprennent la culture des mathématiques, la pratique de l’observation et de l’expérience ; ils lui font constater aussi l’exactitude de la théorie sur le progrès intellectuel. Mais si Roger Bacon s’approprie la science et la philosophie des Arabes comme celles des Grecs, s’il recommande toujours de recourir aux sources, nous ne savons pas ce qu’il apprit dans les traductions et ce qui lui fut connu par les originaux ; nous ignorons en quelle mesure il réussit dans ses recherches constantes et passionnées de toutes les œuvres du passé.

Les auteurs latins, Roger Bacon n’a garde de les dédaigner. Surtout il vante Sénèque, le Sénèque que nous tenons pour authentique et le Sénèque dont on raconta si longtemps la conversion en admirant sa correspondance avec saint Paul. Il a cherché ses ouvrages dès sa jeunesse. Il n’en a qu’une faible partie quand il écrit l’Opus majus, il les possède presque tous quand il compose l’Opus tertium. Encore une fois, comment le Franciscain qui a fait vœu de pauvreté, qui n’a pas d’argent, qui est presque traité en suspect et en prisonnier, peut-il continuer à chercher des livres, à se les procurer, comme à se procurer l’argent nécessaire pour la préparation de ses envois a Clément IV et la fabrication des miroirs ardens ? C’est ce que nous ignorons et ce que nous apprendront peut-être les écrits encore inédits.

A Sénèque, Roger Bacon doit manifestement une justification de l’amour qu’il éprouve, comme les Arabes, comme Pierre de Maricourt, pour l’observation et pour l’expérience, la théorie du progrès dans l’ordre de la connaissance et bon nombre de règles morales pour la vie pratique, peut-être enfin la forme de son style aux phrases courtes et peu inversées.

Ainsi les maîtres du passé continuent l’œuvre des maîtres d’Oxford et des maîtres du continent. Ceux qui agissent sur lui le plus fortement, ce sont l’Aristote authentique et l’Aristote apocryphe, les savans et les philosophes arabes, surtout Avicenne, Averroès et Alhazen, Sénèque dont on ne peut, semble-t-il, exagérer l’importance et enfin Plotin, dont les doctrines, transmises par des intermédiaires si nombreux et si divers, expliquent ses tendances mystiques et sa direction métaphysique. ;