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le sourd de naissance ne sent le plaisir de l’harmonie. Bien plus, ils ne déplorent même pas le dommage qu’ils en éprouvent, alors qu’il est infini. »

A-t-il atteint le degré le plus élevé de connaissance ? eût-il été capable d’écrire, d’enseigner, de prêcher, de discourir dans ces langues comme dans sa langue maternelle ? Comme il s’est trouvé en contact avec des Latins qui parlaient grec, hébreu, arabe, avec des Hébreux et des Grecs, peut-être même avec des Arabes, il est vraisemblable qu’il a continué sans cesse l’étude commencée de bonne heure. Par les questions relatives à la prononciation ou à la prosodie qu’il soulève pour l’hébreu et pour le grec, par la manière dont il s’exprime sur le compte d’Hébreux lettrés et de Grecs ou même de Latins instruits et avec lesquels il semble s’être entretenu, on peut affirmer qu’il a obtenu des résultats dont la valeur s’est sans cesse accrue ; on ne saurait dire, d’une façon précise, jusqu’où il a pu aller dans cette direction.

Mais il est certain qu’il a procédé, en matière d’exégèse, comme font les plus sages des modernes. Il veut qu’on cherche les textes grecs et hébraïques, qu’on se défie des exemplaires tronqués ou falsifiés, sciemment ou non, qui pourraient être fournis par les Grecs et par les Hébreux. Il veut qu’on s’attache à les rendre aussi corrects qu’on le pourra, qu’on y joigne les exemplaires anciens des versions latines, où l’on rencontre moins de lacunes ou d’erreurs. Et les nombreuses corrections qu’il a proposées pour l’Ancien Testament et qui sont pour la plupart acceptées aujourd’hui par les exégètes les plus prudens et les plus accrédités, prouvent quo l’œuvre dirigée par lui eût rendu inutiles bien des travaux dont on fait honneur à la Renaissance ou aux temps modernes.

L’étude des langues ainsi comprise eût aussi conduit à une histoire comparée des religions que Roger Bacon esquisse pour donner, d’ailleurs, au christianisme la supériorité qu’il mérite, selon lui, autant par sa morale et sa philosophie que par ses dogmes.

De même elle conduisait à la philologie comparée. Roger Bacon rapproche l’hébreu, l’arabe et le chaldéen, comme il rapproche les idiomes de la langue française, variés chez les habitans de la Picardie, de la Normandie, de la Bourgogne, de l’Ile-de-France et de bien d’autres régions, comme il rapproche