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comme de la portée immense qu’un accord, une modulation, et la plus simple, peut donner à la moindre parole ? « E tu, » dit tout bas Otello mourant à Desdemona morte, « E tu, corne sei pallida ! E mutai E stanca !… E bella ! Et toi, comme tu es pâle ! et muette ! et fatiguée !… et belle ! » Ici encore, après le redoublement précipité des premiers mots, la voix, deux secondes à peine, hésite. Puis, sur le dernier, longuement, douloureusement, elle se pose et se repose. Et c’en est assez pour que devant nous se découvre, avec l’infini de la beauté, celui de la douleur.

Verdi, quand Otello parut, avait soixante-quatorze ans. Il en avait quatre-vingts lorsqu’il donna Falstaff. Sur la tombe du maître on aurait pu graver la belle parole du Psalmiste : « Ascensiones in corde suo disposuit. Pour s’élever, il a disposé des degrés dans son cœur. »

L’exécution d’Otello fut insigne. La voix de Mme Melba garde encore beaucoup de fraîcheur et de limpidité. Son chant, ou son style, en maint passage, n’eut pas moins de charme que sa voix. M. Ferrari-Fontana jouait Otello, et M. Vanni Marcoux Iago. Voir, en ce qui les concerne, ce que nous écrivions d’eux à propos de l’Amore dei Ire te : avec cette réserve, ou plutôt cette addition, que la supériorité de l’œuvre lit encore mieux paraître celle des interprètes. Pour les chœurs, pour l’orchestre et son chef, même observation.


L’Opéra-Comique vient de représenter un opéra-comique, un vrai : Marouf, savetier du Caire. Enfin on respire ! La musique de M. Henri Habaud est délicieuse de grâce et de légèreté, d’esprit et de poésie. Nous en parlerons le mois prochain.

Nous ne pouvons rien dire des ballets russes, ou russo-allemands, qui se donnent actuellement sur la scène de l’Opéra : pas plus de la Légende de Joseph, de M. Richard Strauss, que de l’Oiseau de feu, de Petrouchka et du Rossignol, trois ouvrages de M. Igor Stravinsky, tout autres, paraît-il, que le Sacre du Printemps. Chaque année, faute d’y être convié, nous devons renoncer à ces fêtes, à ces pompes et à ces œuvres.


CAMILLE BELLAIGUE.