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Mise en train par ce nouveau succès, la Gauche voulut alors accroître la situation du gouverneur de Paris qu’elle considérait déjà comme son chef, et demanda « que le recrutement et l’armement de la garde nationale de Paris fussent dans ses attributions exclusives : il lui paraissait indispensable que le général Trochu eût les pouvoirs dont il avait besoin pour avoir à sa disposition dans la garde nationale le nombre d’hommes qu’il croira nécessaire à la défense du pays. »

Palikao, piqué au vif, se fâcha et le prit de très haut. D’un ton sec il riposta : « La position du général Trochu, d’après tous les règlemens, n’est qu’une position militaire et nullement une position administrative. La délivrance des armes se fait par l’administration de la Guerre et je n’admettrai jamais qu’un de mes inférieurs, placé sous mes ordres, usurpe les fonctions que je dois remplir. » (Nombreuses marques d’approbation.) Quoique la Gauche, sentant qu’elle s’était avancée trop tôt, eût essayé de le désarmer en le couvrant de complimens, Palikao, agacé par ce début, se montra encore moins condescendant, lorsque Emmanuel Arago lui demanda : « A quelle distance les armées prussiennes sont-elles de la capitale ? » — « Si, pendant que je suis ministre de la Guerre, répondit-il sèchement, un officier, de quelque grade qu’il soit, commettait l’indiscrétion que l’on me demande de commettre, je le ferais fusiller. » (Vive approbation et applaudissemens.) Il quitta la Chambre cette fois encore avec un fracas de mauvaise humeur, et, dans la salle des conférences, se répandit en lamentations sur les pertes de temps auxquelles le condamnaient « ceux qui se gargarisaient de paroles sonores. »

Les députés irréconciliables, qui ne laissaient pas d’être de temps à autre inquiets des conséquences de leurs agressions, se demandèrent de nouveau si l’heure du coup d’État n’avait pas cette fois sonné. Ils interrogèrent Duvernois, Brame, Jérôme David surtout, réputé un foudre de guerre, ne rêvant qu’actes de vigueur. Ce fut à qui se montrerait le plus rassurant. Duvernois donna sa parole d’honneur qu’il ne consentirait jamais à un coup d’État. Brame fut d’une magnanimité magnifique : « Je vous ai fait préparer des appartemens chez moi, venez-y ; on n’osera pas aller vous prendre chez un ministre. » Jérôme David garantit que le ministère ne songeait pas à un coup de force, et que « si la moindre disposition dommageable à la liberté de