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pourraient être infligées à l’Empire, odieux par son origine et ses allures à la plupart des honnêtes gens. »

Boissier, l’orateur des clubs révolutionnaires, élu capitaine de la garde nationale à la fin de 1870, disait dans sa profession de foi : « Oui, citoyens, je n’hésite pas à le déclarer, mon plus ardent désir était la défaite de l’armée impériale, car son succès eût suspendu, pour longtemps encore, la légitime possession de nos droits. » Humbert, toujours violent, épouvantait Turquet par ses théories révolutionnaires. « Il faut encore une défaite, disait Humbert, encore une ! » Et les larmes lui venaient aux yeux pourtant, car il eût préféré la victoire ; seulement, l’Empire ! voilà quel était l’ennemi. »

Duvernois finit cependant par se révolter d’être ainsi conduit au gibet, ayant au cou une corde qu’à chaque pas on serrait un peu plus fort. Le 1er septembre, trouvant Chevreau dans son cabinet, en compagnie de Pietri, il lui dit négligemment : « Je suis un homme d’aventure, ce qui est parfois utile ; si nous n’arrêtons pas les autres, ils nous arrêteront ; Pietri, si on lui donne les ordres, les exécutera ; qu’en pensez-vous ? » Chevreau pâlit et sortit de son cabinet sans même répondre. Une autre fois, Persigny, accompagné de l’ancien préfet de police Boittelle, se rend chez Chevreau et lui dit : « Trochu trahit ; un jour qu’il viendra aux Tuileries, jetez-le dans un cabinet, faites-le conduire à Vincennes ; le lendemain, criez dans les rues : « La trahison de Trochu ! » et renvoyez la Chambre. » Chevreau se récria et se voila la face.

Loin de se prêter à arrêter quoi que ce soit, le ministère accepta d’achever la désorganisation gouvernementale en introduisant la démagogie dans la garde nationale. Jusque-là, sous la surveillance vigilante du général d’Autemarre, commandant en chef, malgré les clameurs de la Gauche, on avait apporté une grande circonspection à inscrire sur les contrôles et à distribuer les armes ; peu à peu on se relâcha et on finit par incorporer et armer, non seulement des volontaires sur la qualité desquels on ne se renseignait pas assez, mais des individus qui, en tout autre temps, eussent été rejetés avec mépris. On distribua huit mille fusils par jour, et trente mille repris de justice se glissèrent de la sorte dans les rangs. Lorsqu’on eut ainsi lâché la bride, le général d’Autemarre ne voulut pas prendre la responsabilité de l’avilissement de sa troupe, il donna sa démission.