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écrivait-il dans une autre lettre à propos du dessein qu’avait formé Benjamin Constant de se rendre à Paris. Mais on aura remarqué l’admiration avec laquelle il continue à parler du Premier Consul, malgré les griefs qu’il aurait été en droit de concevoir depuis l’exil de sa fille, et la sévérité avec laquelle il juge les entreprises tentées contre celui qu’il continuait à considérer comme l’homme nécessaire. Avant de raconter comment il a reçu la mort, je voudrais montrer de quel œil il envisageait à l’avance le redoutable passage, et comment il s’y était préparé.


II

M. Necker était de nature profondément religieuse. Il avait été entretenu dans ces sentimens par sa femme, fille d’un pasteur vaudois. Tous deux étaient chrétiens d’éducation et de sentiment, mais leur piété prenait surtout la forme d’un déisme attendri, et leurs prières s’adressaient moins fréquemment au Christ qu’à Dieu lui-même. De même, leur langue religieuse s’inspirait davantage de la Bible que de l’Évangile. Dans les prières que j’ai retrouvées dans les papiers de Mme Necker et dont j’ai publié quelques-unes, prières très belles, très ardentes, très pathétiques même, le nom du Christ n’est pas une seule fois prononcé[1]. Les œuvres religieuses de M. Necker, car ce financier, ce ministre de l’ancien régime a laissé des œuvres religieuses, présentent le même caractère. Dans l’intervalle de ses deux ministères, il avait composé un ouvrage de philosophie. Il avait songé d’abord à lui donner pour titre : De t existence de Dieu. Puis il avait réfléchi qu’il était préférable de l’intituler : De l’importance des idées religieuses, trouvant « que ce titre se rapprochait plus de ses premières occupations et semblait indiquer les vues d’un homme d’État. » « Il faut donc, ajoutait avec indignation Germaine Necker dans son Journal de jeunesse[2], obtenir des hommes la permission de les entretenir de l’éternité en leur parlant du présent, et ils appelleraient vain et inutile tout ce qui n’aurait que l’âme et l’immortalité pour objet. » Cet ouvrage, qui allait à l’encontre des idées philosophiques du temps, avait eu peu de succès.

  1. Le salon de Mme Necker, t. II, chap. Ier Les Journaux de Mme Necker.
  2. Ibid., t. II, p. 173.