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banc de sable, les hommes sautent à l’eau, tirent le bateau, le remettent à flot, et la marche reprend dans le clapotement des pagaies, au milieu de la solitude, à travers l’atmosphère qui flambe. J’en arrive à regretter les rapides ; avec le danger, ils donnaient au moins un intérêt à notre route. La lenteur des Loangos a même cessé d’être une cause d’inquiétude ; ici, ils ne risquent pas de noyer mes charges, ils peuvent seulement par leur paresse allonger la durée du voyage. A la vérité, je ne me désintéresse pas du retard qu’ils occasionnent, car je suis à court de vivres, et les villages sont rares ; ceux que je rencontre sont pauvres, comme ces rives plates et désolées sur lesquelles la brousse hérisse le sol de tiges desséchées.


Nous longeons une haute falaise rocheuse qui nous couvre de son ombre. D’énormes racines jaillies de quelques fentes pendent le long de ce mur et descendent jusqu’au niveau de l’eau avec des contorsions de serpent. Les Gap-Lopez qui avaient perdu leurs voix dans un paysage plat, toujours semblable, se réveillent à la vue des rochers, et la paroi sonore répercute les ondes de leurs chants sur la solitude lumineuse.

Bientôt, de la rive gauche, la falaise passe sur la rive droite, elle est zébrée des mêmes serpens, mais éclairée cette fois par le soleil, elle se mire dans le fleuve, les racines réfléchies dans les rides produites par notre passage prennent une vie, semblent ramper entre deux eaux comme des reptiles.

Le soir, l’escarpement est revenu sur la rive gauche ; nous campons en face de lui. Dans l’obscurité, il se dresse agrandi ; sur la rivière immobile, on ne distingue plus son reflet de lui-même.

Autour de moi, des ombres rayent la nuit d’un vol saccadé, ce sont des chauves-souris qui habitent cette muraille, elles vont et viennent, attirées par la lueur de mon photophore ; elles me frôlent de si près que je sens le vent de leurs ailes, coup d’éventail dans l’air maintenu tiède par la chaleur qu’ont emmagasinée les rochers.


Je viens de dépasser Loudima, le premier poste que rencontre le voyageur sur la route de Brazzaville, à la sortie du Mayombe.